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Libération
Critique

William Karel passe le polar au mixeur

par Bruno Icher
publié le 27 juin 2008 à 4h03

Il est assez réjouissant qu'un documentariste de la trempe de William Karel soit aussi régulièrement taraudé par des envies de mensonges. Du moins, pour employer un autre vilain gros mot, par des envies de fiction. Le bonhomme, qui compte à son actif quelques gros morceaux du documentaire contemporain (CIA Guerres secrètes, le Monde selon Bush ou la Fille du juge, consacré à la fille de Gilles Boulouque) s'était déjà aventuré dans le registre du documenteur avec Opération Lune en 2003. Dans cette fable brillante, il rendait crédible, à travers des interviews tronquées, le fait que l'homme n'avait jamais marché sur la lune et que les images de la Nasa n'étaient rien d'autre que d'habiles montages réalisés avec la complicité de Stanley Kubrick.

Cette fois, il signe un hommage triste et beau au polar américain des années 30 et 40 sous forme d'un patchwork d'extraits de films noirs pur Hollywood formant une histoire déconnante bourrée de rebondissements. Le tout est régulièrement interrompu par les protagonistes de l'affaire, minimum 80 ans au compteur, interwievés de nos jours. «L'idée initiale part de l'envie de filmer la poignée de survivants de cette époque, les Kirk Douglas, Mickey Rooney, Cyd Charisse ou Ben Gazzara», confie Karel. Un à un, il les a convaincus de sortir de leur isolement pour affronter une fois encore l'oeil de la caméra. Pour Kirk Douglas, ce sera dans un silence absolu, paralysie faciale oblige. Pour Ben Gazzara, ce sera à coups de répliques essoufflées. Pour Lizabeth Scott, ce sera un rendez-vous manqué. Pour Cyd Charisse, ce sera simplement la toute dernière fois.

Le reste du travail a donc consisté à mettre bout à bout des centaines d'extraits de classiques ou de raretés, formant le plus prestigieux casting de l'histoire du cinéma, à la manière du célèbre Les cadavres ne portent pas de costard, le film ovni de Carl Reiner de 1982. Ce jeu de mémoire - qui plongera les cinéphages les plus voraces dans le délicieux supplice du quiz géant - raconte le funeste et explosif destin d'un voyou new-yorkais légèrement psychopathe (James Cagney, qui d'autre ?) semant la mort et la désolation autour de lui. En la personne de Kirk Douglas, officier de police pugnace, il trouvera un ennemi à sa mesure. Humphrey Bogart, Richard Widmark, Edward G. Robinson, Lauren Bacall, Joan Bennett, entre des dizaines autres, s'entrecroisent dans ce montage suintant de nostalgie et d'ironie.

Le scénario, que Karel a cosigné avec Jerome Charyn, est un peu trop parodique pour tenir la route jusqu'au bout mais, au fond, ce n'est pas très grave. On peut largement se contenter de cette étonnante rencontre entre la splendeur en noir et blanc d'une jeunesse triomphante et les silhouettes décaties d'un cinéma agonisant.

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