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Libération

Windows 8 : Microsoft fait le Jobs

par Christophe Alix
publié le 29 octobre 2012 à 11h21

Du passé, faisons table rase. C'est le pari très risqué pris par le géant déclinant du logiciel Microsoft avec la sortie mondiale de son nouveau système d'exploitation, Windows 8. Disponible depuis hier chez des milliers de marchands physiques et électroniques, dont les rayons regorgent de nouveaux modèles lancés pour l'occasion par Dell, HP, Lenovo et consorts, l'interface du toujours numéro 1 mondial de l'informatique marque le début d'une «nouvelle ère» , selon le PDG de Microsoft, Steve Ballmer. Une ère de l'après-PC et du tout-mobile désormais largement dominée par Google et Apple, dans laquelle Microsoft, malgré ses immenses moyens et ambitions, est aujourd'hui quasiment inexistant.

C'est pourquoi la multinationale basée à Redmond, près de Seattle, dans l'Etat de Washington, a décidé de frapper un grand coup. Doté d'un budget de 1,5 milliard de dollars (environ 1,2 milliard d'euros), le lancement de Windows 8 est la plus grosse campagne marketing jamais menée par Microsoft. Les objectifs de vente vont de pair avec ce gigantisme publicitaire : le groupe mise sur 400 millions de copies Windows 8 vendues chaque année sur l'ensemble des supports (PC, tablettes et smartphones) sur lesquels il commercialise ses produits. Rien qu'en France, 4 000 vendeurs ont été spécialement formés par Microsoft, et les enseignes ont revu l'agencement de leurs rayons pour accueillir la dernière version très colorisée du logiciel le plus vendu de l'histoire. Atout maître de la «réinvention» Windows 8, le nouveau système -- spécialement pensé pour les écrans tactiles alors que le segment des tablettes est en plein boom -- est rigoureusement identique pour tous les terminaux, fixes et mobiles.

Baptisée Metro, la nouvelle interface est simplement adaptée aux différents types d’écran. La navigation se fait de haut en bas et à l’infini sur les smartphones, et sur le côté pour les PC et tablettes, aux écrans plus larges. Nouveauté de taille, Microsoft se permet même une incursion dans le monde du «hardware» avec Surface, une tablette 100% maison, disponible depuis hier au prix de 489 euros.

«Windows 8 change la perception de ce qu'est réellement un PC» , résume Steve Ballmer, il «rapproche le PC et la tablette, votre vie professionnelle et le jeu» . Le PDG de Microsoft tente ainsi de rassurer les entreprises, toujours friandes de ses logiciels, mais dont l'accueil à un produit conçu pour plaire au plus grand public reste incertain. Pour séduire cette clientèle de cadres encore fidèles, la marque mise sur l'émergence d'un nouveau type de machine hybride, à la fois ordinateur portable pour les activités professionnelles et tablette très multimédia pour la maison. Les modèles de PC dont les écrans se détachent pour se transformer en tablettes ou de tablettes auxquelles on peut rattacher un clavier devraient ainsi se multiplier.

«Les PC fixes ne représentent aujourd'hui plus que 50% des machines de bureau et 80% des achats particuliers concernent des portables , expliquait jeudi soir à Libération Marc Jalabert, le directeur de la division grand public de Microsoft France, lors de la soirée de lancement très futuriste organisée au Palais de Tokyo, à Paris. En proposant un système unique sur des supports dont les usages diffèrent selon l'heure de la journée et que l'on pourra dédoubler, Windows 8 apporte une fluidité numérique et un confort d'utilisation que même Apple n'a jamais atteint.» Que les aficionados de la bonne vieille barre de tâches et de l'empilement de fenêtres se rassurent : il sera toujours possible de restaurer le format classique pour les PC.

Il faut dire qu’il y a urgence pour le leader incontesté de l’ordinateur personnel à réorienter ses activités dans un marché de la high-tech en plein chamboulement. Car si Microsoft reste incontournable dans l’univers du PC (1,3 milliard de logiciels en circulation, un taux d’équipement de 95% des ordinateurs en activité dans le monde), ce marché vient d’amorcer un dangereux déclin, fatal à terme pour le mastodonte fondé à la fin des années 70 par Bill Gates.

En 2012, et pour la première fois depuis 2001, le marché mondial des PC, dont les prix continuent de s'écrouler, devrait reculer en volume de 1,2%, selon le cabinet IHS iSuppli. La faute à la crise, mais pas seulement. Car les usages mutent à toute vitesse. Cette année, il devrait se vendre environ 120 millions de tablettes dans le monde, dont une majorité d'iPad. Trois fois moins que de PC, certes, mais le marché des tablettes pourrait dépasser celui des ordinateurs d'ici deux à trois ans. D'où l'urgence de mettre les bouchées doubles afin de tenter d'exister dans les nouveaux appareils tactiles (tablettes et smartphones) dominés par l'iOS d'Apple et l'Android de Google ( lire ci-contre ).

Au-delà de l'impitoyable bataille commerciale qui s'engage, l'enjeu est surtout financier pour Microsoft, dont le bénéfice a chuté de 22% au dernier trimestre, avec un recul des ventes de la traditionnelle vache à lait Windows de 33%. Malgré une diversification tous azimuts ces dernières années dans les jeux (Xbox), Internet (le moteur de recherche Bing), la division Windows et sa suite logicielle Office représentaient encore l'an dernier un quart de l'activité et plus de la moitié de ses bénéfices. «Si Windows décroche, c'est tout l'édifice construit depuis quarante ans qui s'écroule et toute leur stratégie pour survivre au monde de l'après-PC , conclut un analyste. C'est dire s'ils jouent gros avec ce lancement.»

Paru dans Libération du 27 octobre 2012

A lire également :

- Concurrence : l'Europe est prête à tacler Windows 8 (24 octobre 2012)

- Tablettes : Microsoft remonte à la Surface (19 juin 2012)

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