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World of Warcraft, l'or des tricheurs et le droit d'auteur

En procès contre un logiciel de triche organisée, le créateur de World of Warcraft risque de bousculer toute l'industrie du logiciel.
par Sébastien Delahaye
publié le 9 mai 2008 à 12h24

Depuis septembre 2006, Blizzard, le créateur du monde persistant World of Warcraft , s'est lancé dans une bataille légale contre un logiciel de triche automatisée, Glider. En utilisant des arguments parfois dangereux pour l'industrie du logiciel dans son ensemble.

Avant le jugement, prévu sous peu, petit rappel des faits: World of Warcraft est le principal jeu massivement multijoueur, avec plus de dix millions de joueurs actifs dans le monde. Il devance largement les autres jeux du genre, et contribue en grande partie aux bénéfices de Vivendi, maison-mère de Blizzard. Pas vraiment une surprise, puisque selon l'institut NPD, les abonnements aux jeux en ligne représentent un chiffre d'affaires évalué à un milliard de dollars par an rien qu'aux Etats-Unis.

Dans son monde virtuel, Blizzard a en quelque sorte le rôle d'une banque centrale: l'entreprise régule les flux monétaires et la création de monnaie (dans WoW , c'est de l'or), via des mécaniques de jeu (vente d'objets, recherche d'or...). Et son but est, entre autres, d'empêcher de trop grandes créations de valeur monétaire afin d'éviter de déséquilibrer le jeu. Le programme Glider, de son côté, permet d'automatiser la plupart des actions possibles dans World of Warcraft . Et notamment celles permettant d'obtenir de l'argent. Le joueur avide d'argent virtuel peut donc laisser tourner sa machine en permanence avec Glider en tâche de fond et ainsi se créer une petite fortune sans rien faire. On est bien loin de l'usage normal du jeu, ce qui ne pouvait que fâcher Blizzard.

D'autant que Michael Donnelly, le créateur de Glider, vend son logiciel 25 dollars, et affirme en avoir déjà écoulé 100000 exemplaires. Blizzard exige que Donnelly cesse toute distribution du logiciel, et lui reverse l'intégralité des recettes générées par Glider. Fin mars, Blizzard a porté plainte au tribunal de Los Angeles contre MDY Industries, l'entreprise de Michael Donnelly. Deux motifs: d'une part, Glider viole la licence utilisateur de World of Warcraft , qui interdit d'utiliser ce type de programmes (on les appelle des «bots», soit des robots); d'autre part, Blizzard estime que chaque utilisation de Glider est une «violation du droit d'auteur» . Pour justifier la «violation du droit d'auteur» que constituerait Glider, Blizzard explique que l'utilisation du programme de triche copie World of Warcraft en mémoire vive. L'argument est surprenant: sous Windows, pour fonctionner, un programme se copie de lui-même en mémoire vive. Mais Blizzard estime que les utilisateurs n'ont le droit d'effectuer cette copie que dans le cadre prévu par les règles du jeu.

Utilisateurs du logiciel et MDY Industries seraient complices dans cette violation du droit d'auteur. Cet argument hérisse internautes et associations de défense des utilisateurs. Complices, les utilisateurs de Glider pourraient être condamnés (en cas de plainte déposée contre eux, ce qui n'est pour l'instant pas le cas) à une amende de 750 dollars par utilisation. Et Blizzard connait ces utilisateurs, puisque les joueurs (qui doivent donner leurs coordonnées pour s'abonner au jeu) utilisant Glider sont systématiquement bannis de World of Warcraft depuis 2006.

Cette interprétation du droit d'auteur par Blizzard alarme les associations de défense des droits numériques et autres associations de consommateurs: ainsi, l'association Public Knowledge a porté plainte cette semaine contre Blizzard, estimant que l'entreprise outrepassait le code américain de propriété intellectuelle. Et selon l' Electronic Software Foundation , l'affaire pourrait avoir de sérieuses conséquences: «L'interprétation de Blizzard pourrait donner aux développeurs de logiciels le pouvoir d'interdire la vente d'autres logiciels qui interagissent avec leur produit.» Ce qui pourrait avoir des effets dévastateurs pour l'industrie open-source et pour les créateurs de plug-ins, par exemple. «Glider est, somme toute, un programme qui permet de tricher dans World of Warcraft, continue l'EFF. Il y a donc un danger réel que le tribunal perde de vue les implications de son jugement pour tous les utilisateurs de logiciels. Nous espérons que le tribunal fera attention et rejetera la théorie du droit d'auteur absurde et exagérée de Blizzard.»

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