Yahoo rattrapé par son ambiguïté en Chine

De nouveaux documents éclairent la responsabilité de Yahoo dans la condamnation de dissidents chinois.
par Christophe GUERIT
publié le 2 août 2007 à 17h10

Faire du business en Chine n'est pas chose facile. Demandez donc à Yahoo, Google ou Microsoft, qui se doivent de composer avec les lois chinoises en bridant leurs moteurs de recherche, marché gargantuesque oblige, tout en se fendant à domicile de grands discours condamnant la censure qu'ils contribuent à perpétuer. Question de politique commerciale: toujours respecter les lois du pays dans lequel pose le pied (quitte à en faire trop ). A ce petit jeu schizophrénique, certains s'en sortent moins bien que d'autres. Comme Yahoo, qui à force de vouloir faire plaisir à tout le monde se prend les pieds dans le tapis : l'entreprise est sous le feu des critiques depuis quelques années pour avoir contribué à la condamnation de quatre cyber-dissidents, après avoir fourni des élements compromettants à la demande des autorités chinoises.

Dernier exemple en date, celui du journaliste Shi Tao, accusé de divulgation de secret d'état sur internet et emprisonné pour 10 ans en avril 2005. Ce prisonnier politique, honoré par ses pairs pour son combat , avait transmis en 2004 à un site internet américain un document officiel démontrant la volonté du gouvernement de museler la presse à l'occasion des quinze ans du massacre de Tian-An-Men. Par la suite, à la demande des autorités menant l'enquête, Yahoo avait fourni des informations sur l'adresse d'où le courrier avait été envoyé, huoyan1989@yahoo.com.cn, l'adresse de Shi Tao. Sa culpabilité avait pu être établie par la justice chinoise en s'appuyant sur ces élements.

Mise en cause pour son rôle dans cette affaire, l'entreprise californienne a dû se justifier jusque devant le Congrès, par l'intermédiaire de son Conseiller Général, Michael Callahan. «Quand il a été demandé à notre bureau de Pékin de fournir des informations sur l'utilisateur, nous n'avions pas connaissance de la nature de l'investigation» , a-t-il ainsi affirmé sous serment en février 2006. Yahoo a bien fourni les informations requises mais ignorait la motivation politique. Fermez le rideau.

Cette version des faits est cependant remise en question par l'apparition, ce mois-ci, d'un document compromettant : la requête officielle d'informations elle-même, envoyée par les services chinois au bureau pékinois de Yahoo en avril 2004. D'abord divulguée par Boxun, un site de la diaspora chinoise, la missive a été reprise et étudiée par Dui Hua la fondation américaine de défense des prisonniers politiques en Chine, qui l'estime authentique et en a publié une traduction anglaise . On peut y lire la requête de diverses informations relatives au compte Yahoo de Shi Tao (informations d'enregistrement, dates des connexions au compte et adresses IP correspondantes, etc.), ces mêmes informations qui permettont plus tard d'identifier et de confondre le journaliste.

Surtout, le document précise que cette requête entre dans le cadre d'une enquête portant sur la «divulgation illégale de secrets d'état à des entités extérieures». De fait, comme l'explique Joshua Rosenzweig, chargé de la recherche et de la documentation de Dui Hua sur le blog de la Fondation, «cette documentation suggère que le bureau de Yahoo à Pékin était au moins au courant de la nature générale de l'enquête menée sur Shi Tao, même sans connaître les circonstances spécifiques ou le nom de l'individu concerné. Pas besoin d'être un expert de la loi chinoise pour savoir que les accusations relatives aux secrets d'état ont souvent été utilisées pour punir les dissidents politiques.»

Le porte-parole de Yahoo a tenu à réagir pour défendre tant bien que mal Michael Callahan, estimant que son témoignage «précis et franc» devant le Congrès, désormais sujet à controverse, était en réalité «renforcé par le document en question» .

Une position d'autant plus délicate à tenir que Dui Hua a ensuite rendu publics de nouveaux documents concernant une affaire similaire impliquant également Yahoo. Un autre cyber-dissident, Wang Xiaoning, condamné à dix ans de prison en 2003 pour avoir fait la promotion d'élections multipartites et diffusé des propos subversifs à l'encontre du gouvernement, avait été confondu grâce, entre autres, à des emails compromettants fournis par Yahoo. Et la requête officielle d'informations ( traduite en anglais par Dui Hua) soumise par la police faisait mention en toutes lettres de «soupçons d'incitation à la subversion».

Autant d'informations qui pourraient peser lourd dans une nouvelle affaire dont Yahoo pourrait faire les frais, directement cette fois. Les familles de Shi Tao et Wang Xiaoning ont en effet porté plainte contre le géant américain en avril dernier. Les élements dévoilés ces derniers jours ne devraient pas faciliter la tâche de la défense.

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