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Libération

Yahoo vont-ils ?

par Jean-Christophe Féraud
publié le 9 septembre 2011 à 11h59

«Allô ! Vous êtes virée» : chez Yahoo, le licenciement c'est simple comme un coup de fil ! Parachutée à la tête de l'étoile déclinante d'Internet en janvier 2009, Carol Bartz en a fait l'amère expérience, mardi soir, en répondant au bourdonnement de son Blackberry. Au bout du fil, Roy Bostock, le président du conseil d'administration de Yahoo, excédé par l'incapacité de Bartz à redresser la barre après trente-deux mois aux commandes de la firme… Cette femme à poigne, réputée pour son franc-parler - on se rappelle son «Fuck off !» face au célèbre blogueur Michael Arrington un jour d'interview mal embouchée - aurait encore usé de son art de la répartie quand Roy Bostock a commencé à lui lire un texte préparé par les avocats du groupe. Dans une interview à Fortune , elle explique avoir répliqué : «Tu me lis une lettre d'avocat, pourquoi tu n'as pas les couilles de me dire toi même que tu me vires ?» Et de conclure «ces gens là m'ont baisée.» Avant cette interview, elle avait envoyé un mail aux 13 000 salariés de Yahoo dans lequel était écrit : «Je suis très triste de vous annoncer que je viens juste de me faire virer par téléphone…» Ambiance.

L'exécution de celle que l'on présentait il y a trois ans comme la «Wonderwoman», qui allait relancer le pionnier Yahoo face à la comète Google s'est jouée en quelques minutes ce week-end : les administrateurs de l'entreprise californienne ont voté à l'unanimité son départ et son remplacement provisoire par le directeur financier de l'entreprise, Tim Morse. Officiellement, ce nouveau boss par intérim a été chargé de réfléchir fissa à une «nouvelle stratégie» . En attendant un autre patron providentiel. Officieusement, il aurait pour mission de préparer une vente pure et simple de Yahoo, affirmait mercredi The Wall Street Journal . Les financiers (Capital Research, Citigroup, BlackRock) qui contrôlent l'entreprise auraient décidé d'arrêter les frais.

Vendre Yahoo aujourd'hui ? Quelle ironie… En 2008, ces mêmes actionnaires, parmi lesquels les deux cofondateurs, Jerry Yang et David Filo, avaient refusé une offre stratosphérique de Microsoft valorisant Yahoo à 45 milliards de dollars (32 milliards d'euros) ! Grosse boulette. Hier, la firme ne valait «que» 17 milliards de dollars à Wall Street. Dix fois moins que Google… Mais pourquoi tant de haine contre Carol Bartz ? «Nothing personal, just business.» Elle était arrivée chez Yahoo tout auréolée de son succès à la tête du géant du logiciel Autodesk pendant quinze ans. Sa mission : remettre Yahoo sur les rails , après l'éviction, fin 2008, de Jerry Yang, qui avait lui-même échoué à relancer le portail internet face à Google malgré 1 600 suppressions de postes.

Mais Carol Bartz n'a pas fait mieux. «Yahoo est sortie du marché de la recherche internet. Yahoo a échoué à devenir un média. Yahoo s'est fait sortir du marché de la publicité» , résumait hier, cinglant, un analyste cité par Reuters. La recherche sur Internet ? Principale porte d'entrée sur le Web à son lancement en 1994, Yahoo a été littéralement atomisée par le moteur turbo Google : en juin, sa part de marché dans les requêtes des internautes aux Etats-Unis était tombée à 13,6% contre 67,9% pour Google et 13,8% pour Bing (Microsoft), selon Comscore. En Europe, Google truste carrément 90% des recherches. D'ailleurs, Yahoo avait abandonné en 2008 sa propre technologie de moteur pour embarquer sous son capot celui de Microsoft. Un deal «win-fuck» en faveur du géant du logiciel qui, tout en développant Bing pour son propre compte, prélevait sa dîme sur les recettes publicitaires de Yahoo Search.

Bartz avait fait de cette alliance avec Microsoft le cœur de sa stratégie de reconquête en rêvant de repositionner Yahoo comme un grand network du Web pour capter la publicité. Erreur fatale sanctionnée par les chiffres : entre 2009 et 2011, la part de marché de Yahoo dans la pub sur Internet a fondu de 13,7% à 8,1%, quand celle de Google grimpait de 70,5% à 75,2%, selon eMarketer. Pis, Facebook pourrait drainer plus de publicité cette année que Yahoo… Bref, si la firme basée à Sunnyvale, près de San Francisco, reste le portail numéro 1, avec ses 600 millions d'utilisateurs dans le monde, l'avenir ne lui appartient plus. «Drainer l'audience pour vendre des bannières pub comme un média, c'est un modèle des années 90 qui a explosé avec la bulle internet. Yahoo a essayé de se réinventer en rachetant à tour de bras des start-up. Mais la firme n'a pas assez investi dans la technologie, et a raté le tournant des liens sponsorisés trusté par Google, puis celui des réseaux sociaux dominé par Facebook» , analyse Pierre Chappaz, qui a revendu en 2004 sa start-up Kelkoo à Yahoo pour 475 millions d'euros. Excellente affaire. Car Yahoo a fini par revendre Kelkoo pour… 30 millions.

Exit Bartz. So what ? «Ils ont un panneau "A vendre" sur le portail» , juge Henry Blodget, ancien analyste vedette de la bulle, aujourd'hui patron du site d'infos Business Insider. On parle de Microsoft, du groupe NewsCorp de Murdoch… et de fonds vautours pour une reprise à la casse. Mais pour Pierre Chappaz, le plus probable est que Yahoo cherchera d'abord à vendre son dernier bijou de famille : sa participation de 40% dans le portail chinois Alibaba, qui représenterait aujourd'hui l'essentiel de sa valeur. Sic transit gloria mundi pour les stars vieillissantes du Net.

Paru dans Libération le jeudi 8 septembre 2011.

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