Enquête

Yann Arthus-Bertrand, une marque vue du ciel

Retour sur l’élaboration de «Home», manifeste écolo du photographe, diffusé simultanément ce soir à la télé, au cinéma et sur Internet.
par Grégoire Biseau et Christophe Alix
publié le 5 juin 2009 à 6h52
(mis à jour le 5 juin 2009 à 6h52)

Qui va pouvoir échapper à Home, le film manifeste de Yann Arthus-Bertrand, diffusé ce soir dans 134 pays et sur 81 chaînes de télévision, date de la Journée mondiale de l'environnement ? Pour résister à cette déferlante audiovisuelle multimédia, il va falloir fissa demander l'asile aux plus reculées des tribus amazoniennes. Car le photographe millionnaire, qui aime se définir comme un «écolo venu de la droite», a vu pour son long clip dédié à la cause d'une planète en péril les choses en grand et… (presque) gratuites. Le tout pour la bonne cause : convertir le plus de monde à l'urgence écologique. Pour cela, Arthus-Bertrand a réuni une brochette de choix sur son affiche : François-Henri Pinault, patron du groupe Pinault-Printemps-Redoute et super-mécène de luxe fraîchement converti à la cause du réchauffement climatique, et Luc Besson, big boss de la société Europacorp. Un casting qui donne à ce lancement écolo consensuel un déploiement tout à fait inédit. Dans son ampleur et son mélange des genres. Le tout adoubé par un Nicolas Sarkozy qui a eu droit à sa projection privée à l'Elysée en avant-première mondiale. Qui dit mieux ?

Gratuitement. Tout commence en 2006, lorsque Yann Arthus-Bertrand, fasciné par Une Vérité qui dérange, rêve de filmer l'état de la planète depuis son hélico. «Il m'explique alors qu'il veut absolument diffuser gratuitement son film, raconte Denis Carot, patron d'Elzévir Film et producteur exécutif de Home. Très vite, il apparaît que le projet est impossible à réaliser sans mécène.» Arthus-Bertrand embarque alors Luc Besson dans l'affaire et part frapper aux portes de quelques grosses huiles du capitalisme français. Et tombe sur François-Henri Pinault, le patron de PPR qui regroupe la Redoute et une corbeille de marques de luxe (Gucci, Yves Saint Laurent, Boucheron…). Pas franchement à la pointe de la conscience écologique, l'héritier voit là une occasion en or pour s'acheter une image et monter dans le train du développement durable. Il signe un chèque de 10 millions. «En dix minutes», selon Besson. «Pinault n'a jamais pensé qu'il était irréprochable, dit Arthus-Bertrand. C'est peut-être un peu du green washing [opération qui consiste à s'acheter une image écolo, ndlr], mais il l'assume parfaitement. Surtout il ne m'a jamais rien demandé pendant tout le tournage.»

France 2 et la fondation Qatar (propriétaire de la chaîne de télévision Al-Jazeera junior) apporte chacun un million supplémentaire. La règle du jeu est la suivante : pas question de faire un euro de bénéfice avec le projet. Arthus-Bertrand refuse de se faire payer ; les producteurs abandonnent leurs droits ; les DVD sont vendus à prix coûtants par la Fnac ; les exploitants de salle doivent se débrouiller pour que le prix du ticket baisse - UGC organise même la séance de 20 heures gratuite. Pour la première fois dans l'histoire de l'industrie du cinéma, Home sera donc ce soir diffusé gratuitement et simultanément sur tous les supports : Internet (via YouTube), la télévision, les écrans de cinéma et disponible en DVD. Un coup de force qui fait exploser la sacro-sainte chronologie française des médias - qui impose par exemple un minimum de douze mois à Canal + avant de diffuser un film. Mais pour se conformer à la loi et éviter que toute la profession lui tombe sur le dos, la version ciné sera sensiblement différente de celle diffusée à la télévision et sur Internet. Plus longue (deux heures au lieu d'une heure et demi) et en voix off, Jacques Gamblin en lieu et place d'Arthus-Bertrand.

«Un peu malvenu». La machine PPR s'est mise en marche. Sa filiale CFAO, leader de la distribution en Afrique, met son réseau au service du film, qui sera diffusé gratuitement dans 23 pays africains ce soir. Toutes les marques du groupe se lancent dans un concours de déclinaison de la marque Home. La Redoute propose des tee-shirts 100 % bio à «message durable», le chausseur de luxe Sergio Rossi Gucci, une paire à semelle écolo, Gucci un tee-shirt bio (140 euros)… «C'est un peu malvenu, reconnaît Denis Carot, mais je suis convaincu que la démarche de Pinault est vraiment sincère.» «On est loin d'être parfait, mais ce n'est pas une raison de se cacher parce qu'on pollue, répond François-Henri Pinault. Je sais très bien qu'avec ce film, je me plante une épée dans le dos.» De toutes les façons, assure PPR, le moindre bénéfice ira à Good Planet, l'association de Yann Arthus-Bertrand.

C'est là que s'ouvre une nouvelle boîte. Car tout le business Arthus-Bertrand est une nébuleuse où il est difficile de démêler le gratuit du payant. Ce qui profite à lui personnellement ou à ses amis, comme l'éditeur Hervé de La Martinière (qui a le monopole de toutes ses activités d'édition), ou à son association Good Planet qui vit de grands mécènes : BNP Paribas, la Poste, GDF-Suez, le ministère de l'Ecologie… Un seul exemple : Home sera décliné en livres en deux versions (enfants et adultes), publiée par la Martinière et vendu. Mais le bénéfice ira à Good Planet, où siège au conseil d'administration, Hervé de La Martinière. Tout est dans tout. L'engagement sincère et le business. Même depuis un hélicoptère.

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