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Libération

Yoogle ! cafte tout

par Marie Lechner
publié le 8 mars 2010 à 10h57
(mis à jour le 8 mars 2010 à 17h50)

Bienvenue dans Yoogle ! Mi-jeu de rôles, mi-jeu de l'oie en ligne sur les données personnelles, où vous pourrez endosser le rôle du gentil (l'internaute naïf), du méchant (l'État, l'entreprise) ou de l'opportuniste (l'administrateur), prêts à affronter les redoutables embûches et entourloupes dans le monde impitoyable et user-friendly du Web 2.0. Ce jeu a été développé par les artistes belges Nicolas Malevé et Michel Cleempoel, déclinaison ludique de leur projet e-traces qui s'intéresse à l'exploitation des données personnelles et à l'instauration progressive d'une société de surveillance.

E-traces comprend un site d'information touffu, collection d'articles de presse internationale et analyses sur la biométrie, les puces RFID, la vidéosurveillance, la censure, le datamining… Plutôt que de se coltiner la lecture laborieuse de ces précieuses archives, l'internaute pourra se confronter à ces problématiques en faisant une partie de Yoogle ! Une manière humoristique et édifiante de le sensibiliser aux enjeux du Web 2.0 et aux nombreuses traces qu'il laisse sur le réseau souvent à son insu. «Miniature du Web 2.0, Yoogle ! permet d'en découvrir les coulisses en jouant tour à tour le rôle des différents acteurs du marché des données personnelles et de participer aux manœuvres des uns et des autres» , écrivent les artistes qui présentent ces données comme «le pétrole du XXIe siècle.» Avant de jeter les dés, Yoogle ! nous conseille de garder bien à l'esprit ce conseil de l'oncle Eric (Eric Schmidt, PDG de Google) : «Si vous avez fait quelque chose et que vous ne voulez pas que ça se sache, commencez peut-être par ne pas le faire.» «Don't be evil !» et il ne vous arrivera rien de mal dans ce monde de transparence forcée.

Vu du côté de l’usager, ça fait froid dans le dos : le logiciel de Microsoft a détecté notre stress au bureau, nos «Nike +» (la chaussure connectée à l’iPod et au Web) ont cafté un accident vasculaire, les mots tapés sur le moteur de recherche révélé notre dépression. Résultat, l’assureur augmente d’autant nos cotisations et la DRH alertée par notre baisse de productivité nous met dans la prochaine charrette de licenciements.

Des situations qui n'ont rien de fantaisistes. Les auteurs s'amusent à forcer quelque peu le trait, mais chaque exemple renvoie systématiquement à un article de presse sur le sujet. Après avoir semé des traces sur les réseaux sociaux, le joueur peut retourner sa veste, convaincu que «la vie privée est un truc de vieux cons» et endosser sans émoi celle de l'administrateur, qui collecte ces traces pour constituer des profils afin de les vendre aux entreprises (à des fins de marketing ou de management) ou à l'Etat (à des fins de contrôle). Aux commandes de l'État, on mettra sous écoute les communications sur le réseau de téléphonie mobile (merci Nokia) afin de démasquer les contestataires en Iran, et on convaincra Yahoo ! de nous vendre quelques dissidents chinois contre une poignée de dollars.

Paru dans Libération du 6 mars 2010

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