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Critique

«Pilote» : mâtin, quelles annales !

Documentaire. Souvenirs du «journal qui s’amuse à réfléchir», fondé il y a cinquante ans.
par Eric Aeschimann
publié le 18 juin 2009 à 6h52
(mis à jour le 18 juin 2009 à 6h52)

Pilote est né il y a cinquante ans et le voici objet de ce dont il adorait se moquer : les souvenirs d'anciens combattants. Dans une scénographie assez joyeuse (l'animation à partir de dessins de Cabu est très réussie, le commentaire façon Achille Talon un peu moins), les grands noms de l'hebdomadaire - Giraud, Druillet, Bilal, Mandryka, Fred ou encore l'immense Marcel Gotlib - racontent comment ils ont un jour poussé la porte du bureau de René Goscinny et comment, d'un journal visant le public des yéyés, Pilote devint l'atelier à ciel ouvert de la bande dessinée moderne. Avant d'être, après 68, le laboratoire d'une forme d'esprit qui fut la marque de fabrique des années 70 : le rire comme protestation, comme révolution permanente, comme utopie «ici et maintenant».

Satellites.«L'histoire des sous-titres de Pilote est très intéressante», note Pascal Ory, spécialiste d'histoire culturelle. En 1959, le premier numéro se proclame «le journal des jeunes de l'an 2000» : c'était le temps des satellites, des voitures, du rock, et l'espoir était dans le progrès technique. 1965 : le succès des irréductibles Gaulois - cette sorte de gaullisme au second degré - est tel qu'il commence à faire de l'ombre au gaullisme de premier degré ; logiquement, l'hebdomadaire devient «le journal d'Astérix et Obélix». Enfin, en 1970, l'effervescence politico-intellectuelle a gagné le monde de la BD et voilà Pilote qui devient «le journal qui s'amuse à réfléchir».

C'est en abordant le moment crucial de Mai 68 que le documentaire passe du genre nostalgique au récit politique. Le dilemme est un cas d'école : comment se révolter quand la liberté a déjà été érigée en principe ? Contestations, motions, réunions clandestines. «Tout le monde voulait faire la révolution. […] Pour être dans le coup, Goscinny aurait dû fonder une communauté en Ardèche», dit le commentaire. Au lieu de quoi, meurtri, il resserre son pouvoir, tandis que le journal, à l'été 68, déménage à Neuilly-sur-Seine… S'en suivront, paradoxalement, quelques années de rêve, avec des pages d'actualité où le dessin devient de plus en plus mordant et, plus tard, l'arrivée de Tardi, Bilal, Lauzier, Pétillon. Mais l'équilibre est précaire, et le départ du trio Gotlib-Mandryka-Bretécher pour fonder l'Echo des savanes sera à la BD ce que fut la séparation des Beatles à la musique ou la dissolution de la Gauche prolétarienne au gauchisme : le début de la fin.

«Liberté».L'ultime slogan de Pilote sera celui des spots publicitaires tournés par Patrice Leconte et Marcel Gotlib : «Le journal qui ose rire de tout.» Pour Antoine de Caunes, Pilote aurait ouvert l'espace de «liberté absolue» de l'humour actuel. Il existe sûrement une filiation entre l'hebdo et l'humour «Canal». Mais avec deux nuances de taille. Un : Goscinny n'avait pas le culte de l'argent. Deux : il s'agissait moins pour lui de «rire de tout» que de trouver, en toute chose, l'instant de drôlerie. Car il aimait ce dont il se moquait et n'était jamais blessant. Surtout, il ne séparait pas le monde entre «ceux qui savent rigoler» et les autres - entre les humoristes et les intellos. «S'amuser à réfléchir» : qui assumerait un tel slogan, aujourd'hui ?

Pour les 50 ans de Pilote, les éditions Dargaud publient un numéro spécial sur le thème «69, année érotique», avec des histoires inédites de Manara, Veyron, Moebius, Druillet, Bretécher, Cabu…

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