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#1 18-11-2008 08:52:46

Ecrans.fr
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Webcam mondiale

Webcam mondiale

Vertige. Voir ce qui se passe dans sa rue, sur une plage des Maldives ou au Nord-Kivu, au mètre près et en termps réel, ou presque. C'est le pari de e-Corce, un concept d'observation de la Terre imaginé par l'agence spatiale française. Super Google Earth ou Big Brother?

Lire l'article

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#2 18-11-2008 09:54:17

Lucien2008
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Re : Webcam mondiale

Bonjour,
la webcam mondiale existe deja un peu a travers tout les webcams dans le momde, il suffit de visiter http://www.abcwebcam.com/ou http://www.webcamguide.com pour le constater.
Lucien :-)

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#3 18-11-2008 10:41:25

Kernix
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Re : Webcam mondiale

"Super Google Earth ou Big Brother ?" ... mais Google est Big Brother !


Kernix

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#4 18-11-2008 13:21:23

Alan King
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Re : Webcam mondiale

Pour une fois, les citoyens devront accepter de pouvoir être espionnés par leurs voisins pour éviter qu'ils ne le soient uniquement par leur gouvernement.
La protection de sa vie privée... passera par sa dilution dans celle des autres. On vivre tous dans une maison de verre, de moins en moins opaque.

Dernière modification par Alan King (18-11-2008 13:21:50)

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#5 18-11-2008 17:57:19

g_marc
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Re : Webcam mondiale

Pour une fois, les citoyens devront accepter de pouvoir être espionnés par leurs voisins pour éviter qu'ils ne le soient uniquement par leur gouvernement.

Les gouvernements, c'est déjà épouvantable. Monsieur-tout-le-monde, ce ne serait que pire !

La protection de sa vie privée... passera par sa dilution dans celle des autres. On vivre tous dans une maison de verre, de moins en moins opaque.

Non ! Les individus vont devenir de plus en plus à l'image de ceux qui sont payés pour les observer : des troglodytes enfermés dans l'opacité de leur bunker avec un œil rivé sur l'écran du PC, lui même renvoyant les images d'un monde « extérieur » qui aura de plus en plus l'apparence ou d'un désert ou d'une ville fantôme.

Regardez dans votre rue et comptez le nombre d'enfants qui jouent.

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#6 19-11-2008 00:58:15

Jean-no
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Re : Webcam mondiale

Il y a une demande forte d'autosurveillance : Deleuze (sociétés de contrôle) + Bentham (panopticon).

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#7 19-11-2008 04:26:49

g_marc
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Re : Webcam mondiale

Jean-no, je ne vois pas où tu veux en venir.

Quel rapport entre d'une part « demande d'auto-surveillance » (qu'entends-tu exactement par-là ?), d'autre part Gilles Deleuze — qui argumente quasi dans le même sens que Michel Foucault —, et enfin le modèle de la panoptique de l'immonde Bentham — système auquel sont radicalement opposés les deux individus qui précèdent, quatre avec mon égo (qui me surveille) et moi ?

D'autant plus que la panoptique est un système non pas de surveillance de l'individu par lui-même (« auto-surveillance » ?), encore moins de l'individu par l'individu, mais bien un système de contrôle centralisé des citoyens-sujets — contrôle largo sensu —  par l'appareil (ou la machine) de l'état ; peu importe s'il s'agit d'un système carcéral, médical, éducatif, etc., — voire même d'un simple lieu de travail.

Je pense que tu confonds surveillance et voyeurisme.

(Ceci dit, la surveillance est une forme de voyeurisme, sans doute la forme la plus perverse dans la mesure où elle n'est pas affirmée en tant que telle. Mais bon, par extension, c'est toute la morale qui est voyeuse, ou plutôt qui a besoin des voyeurs et des pervers pour s'étendre et agir, — et peut-être l'informatique qui serait à 99,9 % un étrange cocktail de pognon et de techniques policières...)

À la rigueur, en me faisant mal, très mal, je veux bien admettre une demande de surveillance ; mais alors ô combien téléphonée (je veux dire par là que tout est entrepris pour que pareil désir soit exacerbé, ce qui n'est pas perdu pour tout le monde... En tout cas pas pour les petits copains de Google et les marchands de tapis d'e-Corce, encore moins pour les voyous qui ont installés x caméras vidéo hautes performances dans ma biosphère (elles coûtent une fortune et à l'achat et à l'entretien), sans parler de la construction de bunker qui les accompagne. Oui, là où on planque les courageux poulets qui surveillent...

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#8 23-11-2008 12:21:06

Jean-no
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Re : Webcam mondiale

Deleuze a prédit qu'on allait vers les sociétés du contrôle en affirmant s'inspirer de Foucault, mais personne n'a jamais trouvé à quoi il faisait allusion précisément.
Bentham : je ne sais pas s'il était immonde, sa philosophie de l'utilitarisme force à se positionner en tout cas.
La question n'est pas de juger (est-ce que je suis pour ou contre la maladie, la faim dans le monde et les méchants ? Oui oui) mais de se demander où on va. Parce que dans un monde où on ne vit pas tout seul et où on a plus de quatre ans, la plupart des choses se passent avec ou contre notre gré.
Je trouve pour ma part que les prédictions de Deleuze se vérifient constamment.
En Grande-Bretagne par exemple on sait que non seulement les gens ont exigé de voir Londres saturée de caméras de surveillance, mais aussi qu'ils ont réclamé à avoir accès au résultat et à pouvoir eux-mêmes regarder sur leur téléviseur ce qu'il se passe dans les rues de leur quartier. C'est intéressant, je prédis pas mal d'avenir à ce genre de pratique. C'est le panopticon, mais la technique permet que chacun soit à la fois surveillant et surveillé. Il y a aussi les villages Disney, architecturalement conçu pour que chaque habitant puisse surveiller ses voisins et être surveillé de ceux-ci.
Les gens ont peur de leurs rues, on ne laisse plus les enfants sortir, tu le dis toi-même. En même temps (et ça n'est pas sans rapport) nous avons soif d'indépendance plus que jamais dans l'histoire. La solution naturelle qui se présente me semble évidente, même si à titre personnel je soutiens d'autres modèles, comme celui des sociétés traditionnelles (incluses, les sociétés occidentales jusqu'aux années 1960) centrées (sans le savoir) sur l'éducation. Mais ce genre de société n'existe plus. Un exemple : si un gamin de huit ans s'amuse à jouer avec de la bouffe dans un supermarché (j'ai vu ça récemment), toute personne extérieure à sa famille ou au supermarché sera réticente à dire "ça suffit" ou "on ne fait pas ça", car il est presque certain que celui qui s'y hasardera se fera engueuler par les parents de l'enfant. Si l'école fonctionne mal aujourd'hui, ce n'est ni à cause de profs ni à cause de parents, c'est à cause du fait que les adultes n'osent pas éduquer les enfants des autres. Je le dis vite et mal parce que je dois quitter mon clavier dans moins d'une minute mais je suis à peu près certain de mon fait. Bref si les membres de la société n'osent plus agir, ils veulent au moins voir, savoir, surveiller...
Je n'ai pas de sympathie pour cette éthique de la passivité et du voyeurisme, mais il me semble erronné d'imaginer que ça vient "d'en haut".
Un modeste article en rapport avec la vidéo surveillance : http://www.hyperbate.com/dernier/?p=1423

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#9 23-11-2008 16:21:13

g_marc
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Re : Webcam mondiale

@ Jean-no

La demande de surveillance se nourrit du vide politique : c'est cela qui crée l'angoisse, laquelle porte certains individus à essayer par tous les moyens possibles de se rassurer.

Et réciproquement : ce besoin excessif de se sentir sécurisé porte sur le devant de la scène un type de politicien que nous qualifions d'ordinaire de démagogue, individu qui se caractérise surtout par le néant politique qu'il pratique : des coups de gueules balancés à l'emporte-pièce qui ne débouchent sur rien de concret, simplement parce qu'il y aurait encore moins à faire que ce qu'il y avait eu à entendre. Une sorte de « politique » restreinte à l'évidence d'un grand-guignol en guise de spectacle. En tout cas un aveu d'impuissance manifeste, ou la démonstration que les entités étatiques (et les entités dérivées qui en découlent) ne maîtrisent en rien les plans politiques qu'ils sont censés développer et conduire.

Si nous partions du principe qui veut que tout est (ou soit) politique, on pourrait ajouter que le démagogue, loin de s'adresser à la complexité des individus — et bien évidemment celle des groupes d'individus —, ne s'adresse qu'à la partie la plus résistante de ceux-ci, partie qui ne peut pas s'assouplir et qui porte en dedans d'un conservatisme aux conséquences les plus extrêmes : je t 'enfonce une aiguille dans la chair, alors tu hurles de douleur. « On vous a piqué votre sac, madame : une caméra, des peines incompressibles, et rien de pareil ne vous arrivera jamais plus. » Attitude simpliste, essentiellement réactive et qui ne vaut pas plus que ce que vaudrait un réflexe.

Le pire, c'est que des attitudes comme celle-là, de par leur manque de nuance ne peuvent que porter vers plus d'angoisse, donc vers un redoublement des exigences en matière de sécurité, etc. Une sorte d'emballement dont l'issue pourrait sembler inéluctable. Ce qui, pour moi, est déjà une raison suffisante pour tenter de résister : non, je ne suis pas « surveillable ». (Et encore moins « surveillant ». — Déjà parce que j'ai autre chose à foutre...)

Et le pire du pire — c'est ici qu'on rejoint le sujet qui nous occupe — : complètement déstructurés dans leur complexité, les individus finissent par prendre sur eux la fonction policière qui, loin d'être en mesure de répondre à leurs exigences, aura fini par se retourner contre eux, ce que je peux résumer en deux mots : tous suspects ! C'est ainsi qu'on voit se développer des justiciers à la petite semaine qui se verraient bien keufs à la place des keufs. Ou l'excellent exemple que tu auras pris toi même en mentionnant l'attitude des Londoniens (Deleuze parlera d'une précipitation dans le trou noir.) Sauf que moi, je ne prédis aucun avenir à cette attitude-là. Et si elle en avait un, je me demande si je ne préférerais pas prendre les armes ou le maquis !!! En tout cas j'oppose un NON irrévocable et radical ; et sur un coup comme celui-là, je me torche le c... avec l'opinion des majorités !

En fait on arrive à une sorte de cas d'école ou innocence et culpabilité ne font plus qu'un, de telle sorte qu'il devient inutile de vouloir faire la part des choses. En d'autres termes, c'est d'une négation du concept même de justice qu'il est question.

Je crois que ce que tu entends par « auto-surveillance » doit résulter en partie de cette confusion qui restreint le dualisme judiciaire à sa seule stérilité.

À noter, pour l'anecdote, que tu verras aussi des keufs donner l'illusion de faire le parcours inverse — mais il n'y a pas de parcours inverse. Cas exemplaire de ces policiers qui, la semaine dernière à Bruxelles, après avoir débarqué sur les lieux d'un cambriolage (une librairie), ont piqué du flouze et du matériel pornographique en oubliant qu'ils étaient filmés par le système de vidéo-surveilllance du magasin ! (Ici le lien vers la vidéo. — Ici, celui vers l'article.)

Un dernier mot : Bentham pense, planifie et théorise un modèle politique de contrôle — en d'autres termes, il lui donne une évidente légitimité ; tandis que Deleuze constate et analyse les facteurs qui précipitent une société dans un modèle global de surveillance et de contrôle (et induit la nécessité d'une résistance protéiforme) ; en d'autres termes, il crée une brèche dans cette légitimité dont Bentham était un des représentants. C'est incompatible comme points de vue.

Je vais maintenant lire attentivement l'article publié sur ton blog. (J'aurais dû commencer par là, mais j'ai préféré répondre à chaud. — Ô sublime arbitraire de la méthode...  smile)

Cordialement.

PS : d'accord avec toi sur le fait que l'éthique de la passivité et du voyeurisme « ça ne vient pas d'en haut », en tout cas pas exclusivement ; mais ce n'est pas exactement ce que j'ai voulu prétendre. Je voulais laisser entendre que le « tout à la sécurité » était un marché à ce point énorme — marché commercial bien sûr — qu'il n'y avait aucune raison pour ne pas laisser couler un peu d'huile sur le feu (ne pas infirmer, si tu veux). Un bénéfice qui lui, je le maintiens, n'est pas perdu pour tout le monde.

PS bis : J'ai volontairement omis de répondre à ce que tu développes dans la dernière partie de ton post — le rapport au modèle de l'éducation —, simplement parce que cela aurait exigé une réponse beaucoup trop longue, impossible à formater en deux temps trois mouvements. Mais tu exposes une idée que je trouve intéressante — et que je partage, du moins en partie — au travers de l'exemple que tu cites. (« Les adultes n'osent pas éduquer les enfants des autres. »)

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#10 23-11-2008 17:48:22

Jean-no
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Re : Webcam mondiale

Bentham vivait dans un monde bien différent du nôtre : on en était à peine à voir la prison comme alternative à la pendaison ou à des peines inhumaines comme le marquage (défigurer quelqu'un pour qu'on sache qu'il a commis tel ou tel crime).
Un extrait intéressant issu de l'article panoptique de Wikipédia :

« Il y aura, d’ailleurs, des curieux, des voyageurs, des amis ou des parents des prisonniers, des connaissances de l’inspecteur et d’autres officiers de la prison qui, tous animés de motifs différents, viendront ajouter à la force du principe salutaire de l’inspection, et surveilleront les chefs comme les chefs surveillent tous leurs subalternes. Ce grand comité du public perfectionnera tous les établissements qui seront soumis à sa vigilance et à sa pénétration »

On voit bien le caractère complètement utopique du projet, qui répond au fameux "qui gardera les gardiens" : ici tout le monde surveille tout le monde... Ce qui n'est pas sans logique dans une société où chacun serait libre à égalité avec les autres. Sur Wikipédia justement ça fonctionne ainsi, tout le monde peut vérifier ce que fait tout le monde.
Évidemment, Bentham ne pouvait pas savoir de quels moyens on disposerait deux siècles plus tard, mais peut-être les aurait-il appréciés pour leur neutralité (la caméra a filmé les policiers belges comme elle aurait filmé n'importe qui). Cependant cette neutralité est contredite par les progrès techniques. Car aujourd'hui plus il y a de caméras et moins il y a de gens pour les regarder (elles n'ont un intérêt qu'à posteriori). Tandis qu'avec la reconnaissance faciale (aidée par les photomatons où on fait la gueule), il sera bientôt possible d'automatiser certaines choses et de demander à la machine quels sont les 200 lieus où on a été vus dans la journée (un londonien est filmé 200 fois par jour en moyenne). On imagine sans peine les abus.

L'angoisse est une donnée importante bien sûr, mais elle est in-maîtrisable. Même ceux qui la provoquent (télévision surtout) n'y peuvent rien. La psychologie sociale montre que d'une part nous avons un besoin vital d'information, mais que d'autre part plus nous sommes informés et plus nous sommes angoissés. S'il y a un seul sentiment qui est impossible à raisonner, c'est bien la peur. Par exemple on peut produire des statistiques démontrant que plus de caméras n'aboutit pas à plus de sécurité (vrai), ça arrive au cerveau des décideurs et des administrés, mais ça n'arrive pas aux tripes, et les dépenses sont bel et bien engagées malgré leur rapport qualité/prix irrationnel.

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#11 24-11-2008 07:48:11

g_marc
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Re : Webcam mondiale

Voilà, j'ai lu ton article. Un seul mot : chapeau !

Bien vu surtout que d'avoir mis en parallèle la destruction d'une école — vecteur d'éducation — avec l'acquisition d'un matériel qui, si on devait prendre au mot ce qui découle de son usage pratique, permettrait de se débarrasser de l'éducation, en lui substituant une technique de formatage... Mais l'école aussi, il lui arrive de formater ! Pas simple, pas simple...

Ceci dit, je ne suis pas sûr que l'angoisse viendrait à poindre le bout de son nez à la suite de l'étalage d'une certaine forme d'actualité à la télévision. Je crois que c'est plus complexe que cela.

En quelques mots ci-dessous, pêle-mêle, ce qui me vient en tête dans l'immédiate foulée de la lecture de ton texte :

La vidéo-surveillance permet de renverser la problématique de la dictature et d'exacerber la part totalitaire qui existe en chacun des individus, de telle sorte que les états — qui sont bien évidemment partie prenante, surtout en vertu des intérêts que l'usage et l'acquisition des moyens techniques nécessaires imposent — les états donc peuvent, d'un point de vue pratique, rester des états « démocratiques » et même se permettre, par la voix de certains (peu importe qui ou qui, d'ailleurs), de donner sur le sujet des leçons.

Il y a une sorte de... de... Ah ! ce n'est pas facile à conceptualiser !.. Comment dire cela d'une façon audible, entendue ?.. Ce que nous comprenions par régime totalitaire a toujours été le fait d'une machine ou d'une institution de pouvoir de laquelle se dégageait l'une au l'autre figures dominantes (le dictateur, par ex.), — machine qui exerçait une emprise dont le but était d'instiller en chacune des personnes la part de peur utile à l'anéantissement de toutes formes possibles de résistance. Mais la dictature a un très gros défaut : elle n'est pas rentable durablement sur le plan économique, cela pour diverses raisons, notamment parce que les individus ne manquent jamais de se réveiller, d'une façon ou d'une autre, s'ils prennent conscience du peu d'intérêt qu'ils ont à exercer leurs activités (cas flagrant de l'Union Soviétique et de la dégradation de son appareil économique, lequel n'a jamais été aussi efficace que pendant la guerre !) En d'autres termes, il y a un intérêt manifeste à renverser le problème de l'exercice de la dictature, je veux dire par là à la débarrasser de sa fonction de contrôle et de surveillance, une fonction dont elle ne pourrait bien évidemment pas se passer. Et si ce ne sont plus les états politiques qui l'exercent cette fonction-là, et que d'autre part ce ne sont pas non plus de quelconques milices privées (du moins, pas trop ouvertement), la tâche en reviendra donc à ceux-là même qui apparaissent comme demandeurs : n'importe qui, pourvu que ce soit madame ou monsieur-tout-le-monde. Cela n'ayant d'ailleurs à mes yeux qu'une importance toute relative qu'ils soient ou ne soient pas demandeurs.

Rentable, d'apparence efficace, pratique et d'une hypocrisie totale ! Car là où nous tombons les pieds joints et la bouche en coeur dans le panneau, Bentham en son temps le premier [1], c'est lorsque nous parvenons à nous convaincre que ce n'est « qu'une évolution normale de la société », peut-être même une sorte de « progrès (démocratique) », un retour de l'exercice du pouvoir dans la sphère de la « citoyenneté » la plus ordinaire (et, passe-moi l'expression, la plus crasse) ; — en omettant sur le coup de voir que de l'individu ne restera que sa portion la plus congrue, celle d'une entité rentabilisée par assujettissement irrévocable et, surtout, axiomatique ! « Surveillons-nous les uns et les autres pour le meilleur et pour le pire puisqu'il ne peut qu'en aller ainsi en vertu de la dimension irréfragable et initiale de notre assujettissement ! Cela va de soi — cela ne se discute pas ... » Le contrat social, pour lequel je n'ai jamais eu le moindre iota de sympathie, ne pouvait pas plus mal tourner !!!

En fait il s'agit ni plus ni moins que d'institutionnaliser par l'absurde, de donner une caution officielle, une légitimité à un principe qui existait déjà (et qui ne pouvait que nous rappeler des heures bien sombres), en l'assimilant à quelque chose qui ressemblerait à des mœurs « naturelles », — un principe qui, bien sûr bien sûr, était déjà plus souvent qu'à son tour appliqué, mais par-dessous les tables, d'une manière officieuse, — un principe certes muni de plusieurs tentacules mais dont, toutes convergent vers quelque chose qui s'apparente à la permanence de la délation. C'est extraordinaire ! Nul besoin d'une institution officielle (ou officieuse) qui viendrait à exercer la mission, puisque nous voici TOUS devenu officiellement des délateurs doublés de garde-chiourmes ! « N'était-ce pas ce en quoi vous étiez demandeurs ? » Plus besoin d'un trou-du-cul comme Eischmann  pour porter le chapeau en cas de dérapage ou de malheur... Bien joué ! —  Au fait, « officiellement », ou « religieusement » ? Peut-être même que pour le salut de notre âme... Tu connais la définition de l'âme que donne Michel Foucault ?

Or Bentham, qui soit dit en passant n'a rien compris à un Rousseau qui lui-même ne pigeait rien à la notion de contrat, ne fait-il pas, lui aussi référence au salut ? (Tiens donc... Une dégénérescence du concept du Léviathan ?.. Un monde si différent que ça ?..[2])

Raison pour laquelle nous ne pouvons, en aucun cas et d'aucune façon, accepter de jouer un rôle comme celui-là en nous prêtant à un jeu dont la règle serait de faire de chacun de nous le micro-dictateur de notre voisin. Quelle honte ! Quelle idées aurions nous de nous mêmes si nous devions en arriver là ? Où se cacherait les résidus de notre dignité là-dedans ? C'est un scandale politique absolu. Pire : un anéantissement de toutes formes de politiques. Irrévocablement et viscéralement inacceptable ! [3]

Sans doute qu'un parano quelque peu psychopathe qui viendrait à l'ouvrir n'hésiterait pas à prétendre : « En tant qu'individu, tu as le pouvoir de me surveiller et tu t'y prêtes... Bien, très bien... mais ne t'étonnes pas si tu te prends une rafale de plomb dans le gras-double ou si je sors ma b... et que je te pisse à la raie du c... C'est mon droit, celui qui résulte de MON échelle de valeur et, d'autre part, voilà qui me permet de te retourner, certes d'une façon pas très esthétique, l'exacte considération que j'ai pour ton défaut viscéral de valeur. » — Mais bon, je préfère, pour conclure, un propos de Picasso (que je cite ici de mémoire, en essayant de traduire l'idée plutôt que l'exactitude au mot près du propos lui-même) :

« Si vous me retirez mon papier, je dessinerai sur les pierres, — si vous me retirez mes pinceaux, je colorierais avec mes doigts, — si vous me retirez mes couleurs, je peindrais avec ma merde. »

Lizaine, trop « benthamien » dans le stérile de ses couilles, n'a rien à voir avec le propos qui précède...

Allez ! on va en rester là, sinon les archives de Écrans.fr vont finir par concurrencer celles de Husserl à Ottignies ! Plus de quatre-vingt mille pages à ce qu'il paraît. Un séisme, un drame, du papier, une anecdote...

Cordialement.

Notes :

[1] Non ! il y en avait eu d'autres avant lui : Platon, par exemple, mais celui-là, c'est un autre métal ! Et puis Saint-Augustin.

[2] Le plus cocasse, c'est que, sous un certain angle, Bentham aura connu le destin de Pérille, l'inventeur du taureau d'airain : il aura été piégé par l'usage de sa propre invention ! Encore que Bentham aura poussé le raffinement plus loin que la victime de Phalaris, puisqu'il sera parvenu, l'idiot, à volontairement construire son propre piège en jouant pour lui seul les deux rôles ! Mais j'ai toujours pensé que le tempérament de Bentham était fondamentalement celui d'un hystérique. Si tu veux t'amuser, essaye de poser le doigt sur le corps de notre Jeremy. La tête, je te rassure, on l'a retrouvée : toute noire et momifiée au fond d'une caisse dans une cave de l'université d'Oxford. (Au fait, il n'y a pas si longtemps que ça.) Jamais un cadavre n'aura expliqué avec une telle pertinence en quoi il aurait mieux valu d'avance ne pas manquer de se tordre.

[3] Ceci dit, mais en aparté, fais gaffe à ne pas confondre avec la situation, par exemple, de Wikipédia, où tout un chacun vérifie le travail de ses coreligionnaires. Il en va de même pour des musiciens qui jouent ensemble : tout le monde écoute tout le monde et il y intérêt,  sinon ce serait vite quelque peu cacophonique !.. Tu cites également dans ton article le manifeste Dogma 95 et Manifesto for CCTV Filmmakers. Mais ce n'est pas du tout le même contexte et les conditions initiales n'ont rien à voir. D'un orchestre ou de Wikipédia, tu as toujours la possibilité de te retirer sans autre forme de procès (quel mot hideux ! heureusement que Kafka est passé par là), de même que des principes des deux manifestes artistiques évoqués, tu pourras si tu le désires t'éloigner, — ce qui est loin d'être le cas lorsqu'il s'agit d'un contexte juridique et/ou étatique, qui plus est si c'est d'un principe qui commence à gangréner la plupart des états qu'il est question. Difficile d'y échapper ! — Un maso d'apparence auto-destructeur qui se fout la tronche dans une cuisinière à gaz avec le sourire aux lèvres, les doigts de pieds en éventail et en écoutant Born to Be Alive de Steppenwolf (meilleure définition possible d'un artiste smile), c'est son problème ; un régime politique qui mène au cyclon-B sept millions d'individus contre leur gré, c'est un autre débat.

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#12 24-11-2008 14:07:18

Jean-no
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Re : Webcam mondiale

g_marc a écrit :

Voilà, j'ai lu ton article. Un seul mot : chapeau !
Ceci dit, je ne suis pas sûr que l'angoisse viendrait à poindre le bout de son nez à la suite de l'étalage d'une certaine forme d'actualité à la télévision. Je crois que c'est plus complexe que cela.

En fait ça a été "testé cliniquement" comme on dit. L'information génère du stress. C'est bien normal d'ailleurs : le chasseur-cueilleur qui est en nous est perpétuellement à l'affût, en demande d'informations utiles à sa survie (nourriture, dangers, occasions de reproduction) et la télévision lui offre une abondance de menaces (1000 salariés virés, un typhon ici, un ouragan là, un meurtre dans un petit village, un enfant disparu, une guerre lointaine...), de choses à consommer et de belles personnes en pleine santé, aptes à la reproduction et envoyant des signaux de séduction. Cela fait beaucoup de sollicitations et beaucoup de motifs d'inquiétude pour un cerveau de deux kilos. Selon Henri Laborit, face au stress, nous avons deux choix : la fuite, ou l'action. L'action évidente que nous propose la télévision, c'est de consommer. La fuite (jeter le poste de télé) est assez difficile car une autre disposition neurologique typique de l'humain est la sociabilité, qui nous pousse à trouver des sujets de conversation et des références culturelles communes, ce dont le téléviseur est un médiateur efficace depuis des décennies maintenant.

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#13 24-11-2008 14:25:58

Jean-no
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Re : Webcam mondiale

Tu dis que l'éducation formate : oui. Mais l'homme est un animal sociable qui a besoin de références communes pour vivre avec les autres et de certitudes pour vivre avec lui-même. Si tu prends un humain et que tu lui retires toute interface avec les autres (pas de langue commune, pas de références communes), il sera très malheureux, si libre qu'il soit d'inventer son système moral et sa langue. C'est à ça que sert l'éducation, au sens large (pas forcément celle des écoles).

La question que tu pose par ailleurs est celle du softpower. Pour les lumières, Rousseau ou Thomas Jefferson par exemple, il était évident que la connaissance et la bonne compréhension des enjeux était un préalable à la liberté et au gouvernement des citoyens par eux-mêmes. Mais dans la démocratie moderne (si l'on peut dire), l'information du citoyen est plutôt une menace, il faut donc le contrôler en douceur, c'est ce qu'ont théorisé Gustave Le Bon (psychologie des foules) ou Edward Bernays (Propaganda). Pour obtenir cette domination "douce" il faut en fait ne donner aucune limite aux libertés, donner la liberté d'être un imbécile, la liberté de refuser de dire "m'sieurs dames" quand on entre dans un magasin, la liberté de refuser d'être adulte quand on n'est plus un enfant, etc.

Dernière modification par Jean-no (24-11-2008 17:05:50)

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#14 24-11-2008 18:11:07

g_marc
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Re : Webcam mondiale

Oui, Laborit...

§ 1. Fuir ou agir - Mais fuir, c'est aussi une forme d'action. Tourner le dos à son poste de télé, c'est une façon de refuser le décervelage quasi systématique que ses concepteurs nous proposent. Et réciproquement : consommer, cela peut être perçu comme une éthique de la passivité.

Ceci dit, j'avais un peu connaissance de cette thèse de la génération du stress. Mais ce dernier n'est ni « bien » ni « mal », ni « bon » ni « mauvais » : il dépend du sens que tu lui prêtes et de la réponse que, toi, tu y apportes. Le problème vient de ce que le concept est chargé d'un a priori négatif. Or le stress permet fondamentalement que tu te secoues les puces, plutôt que de rester là, à t'encroûter sans (ré)agir. En d'autres termes, il peut être le bienvenu. Toi, tu lies l'angoisse à l'inquiétude. Oui, sans doute, dans certaines circonstances ; mais moi, je préfère la lier à l'action, peut être parce que c'est une façon moins... stressante de voir les choses ! (Un stress qui viendrait à générer du stress, et nous voici de plain pied dans un débat cybernétique !)

§ 2. Formatage scolaire - Il n'y a pas d'à priori négatif lorsque je prétends que l'école formate elle aussi. Ce n'est qu'un constat. Bien sûr qu'un certain « formatage » est nécessaire, serait-ce pour le plaisir que cela procurera de le contester ! (Et, partant, de faire en sorte qu'il évolue.)

§ 3. Construction d'un système moral - Non, non, pas du tout ! L'individu n'est pas nécessairement malheureux s'il doit construire, non pas son « système moral » (Dieu m'en garde !), mais une Éthique de vie. Bien au contraire, c'est peut-être en cela qu'il parvient à tutoyer le point focal de la joie la plus intense, entendre : la plus saturée. C'est l'extraordinaire et ô combien réjouissant concept de la Béatitude chez ce bon petit diable de Spinoza. — Plus intéressant : une Éthique de vie n'est pas nécessairement incompatible avec une certaine conception de la morale publique — dont je ne conteste par ailleurs pas la nécessité —, même si elle induit, de par la dignité qu'elle se doit d'exiger de nous,  de ne jamais baisser les bras, en tout cas, et pour le moins, de ne jamais se laisser enfermer dans une certaine conception toujours trop mercantile de la tristesse. Par exemple, la vidéo-surveillance, c'est de la tristesse, une certaine façon de nous amoindrir. D'où la nécessité d'une possibilité d'insurrection (laquelle n'a évidemment rien à voir avec ni avec la révolution, ni avec l'anarchisme, encore moins avec le hooliganisme ou tout autre foutage de bordel plus ou moins analogue). Mais on ne va pas réécrire Spinoza ! (Encore que... Je n'ai rien contre ! Trente-quatre ans qu'il m'accompagne, celui-là, et ce n'est qu'un début.)

§ 4. La thèse du Softpower - Mmmm... Je vais te donner un truc : la politique commence là où la domination est mise en veilleuse.  Le Softpower n'est qu'un recyclage de principes vieux comme le monde, ceux-là même qu'on voudrait encore nous vendre clef sur porte, peut-être en ajoutant que « de toute façon, il n'y a pas, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais rien d'autre ». Le bacille de la fatalité résignée (à ne pas confondre avec le Fatum de Nietzsche). Tiens ! on dirait le retour par la petite porte d'un énième ersatz du christianisme. — L'image est ridicule; certes, mais si tu me fouettes à la dure en me traitant de pourceau, c'est moche ; par contre, si tu me fouettes, toujours à la dure, quoique en ayant pris soin de m'offrir des fleurs et en ayant eu le culot de prétendre : « Je m'excuse », c'est écoeurant.

Ceci dit, là, je crois qu'on est en train de virer HS. wink

                                                                        +++

PS : Je viens, après moult recherches dans le fond de mes caisses, de remettre la main sur mon exemplaire de Dieu ne joue pas aux dés (Laborit, précisément), et je n'oserai pas exposer publiquement les commentaires qui en garnissent les marges tant ce serait indécent. Allez deux ou trois au passage :

page 47 : « H.L. recycle tous les préjugés de la société étatique pour les adapter à une démonstration scientifique censée rendre compte de la vie et de son métabolisme ». En d'autres termes, il renverse le problème de l'expérience, remonte des conclusions qui l'arrangent pour construire à postériori l'hypothèse qui servira d'assise à sa démonstration.

pages 50 et 51 : « Selon H.L. l'inconscient, c'est l'histoire culturelle d'une chimie du langage ! —  WHAT ??? —  LES MOTS CHIMIQUES !!! ... Un mot = “C'est un ordre !” — Impossible de radicaliser plus violemment cette prise de tête qui consiste à prendre les mots au mot. »

Il y a 220 pages raturées comme ça. Parfois au bic rouge. Un comble.

Dès la préface, il exposait une thèse interpellante : un cerveau, deux hémisphères. Le gauche, c'est l'hémisphère cartésien ; le droit, l'hémisphère mystique. Ce qui n'est pas à gauche ne pouvant être qu'à droite (toujours les bonnes vieilles dichotomies), on en conclura que tout ce qui n'est pas cartésien est forcément « mystique ». Par exemple, un art, c'est mystique... Ce type aurait peut-être du jeter un œil sur une partition de Berg ou de Stravinsky... ou se poser la question de la valeur de thèses comme celles d'Agassiz, de Morton ou de Broca (Agassiz, grand scientifique, très écouté de surcroît, jugeait de la perversité des femmes en mesurant l'écartement de leurs orteils). —  Avant le cerveau humain, il y avait donc la dualité mysticisme vs. Discours de la méthode... Je ne suis pas sûr que les créationnistes oseraient pousser le bouchon aussi loin que ça ! — Sous certains aspects, Laborit était à coup sûr un éminent biologiste ; sous d'autres, un philosophe, euh... Allez ! on dira dispensable.

(2 X + HS !)

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