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Libération

iPad, l’ardoise sur laquelle on peut tabler

par Frédérique Roussel
publié le 6 avril 2010 à 14h30

iPad, mon bel iPad, ne vois-tu rien venir ? Objet quasi messianique, mariné dans le plus grand secret et promu dans le plus grand des battages, la nouvelle tablette d’Apple semble concentrer les fantasmes d’un monde qui veut toujours aller plus loin dans la subtilité mobile. Jeux, Internet, musique, vidéo sous la caresse des doigts. Dès son premier jour de mise en vente aux États-Unis samedi, 600000 à 700000 exemplaires auraient été écoulés, deux fois plus que les prévisions pour le week-end entier.

Au-delà du gadget de loisirs sophistiqué, un objet technologique semble pour la première fois jouer le sésame d’industries poussées à basculer dans le numérique. L’édition, qui y est allée à pas comptés depuis dix ans, veut reprendre le manche aux Etats-Unis. La presse, en situation structurelle difficile, se précipite dessus, y voyant la première étincelle de son avenir.

Livres : les éditeurs grands gagnants

Apple et son iPad étaient absents du Salon du Livre 2010, mais il en a beaucoup été question dans les travées de la Porte de Versailles. Car en plus de toutes ses fonctions, l'iPad aura une application dédiée à la lecture, iBooks, qui permettra d'accéder à la nouvelle librairie numérique iBook Store. Apple compte bien canaliser le livre comme il l'a fait pour la musique. Son arrivée signifie-t-elle la fin des tablettes dédiées qui sont sorties ces dernières années : Kindle d'Amazon, les readers de Sony -- dont le dernier à écran tactile -- ou autre Kobo eReader, et la flopée de machines dans les tuyaux, notamment chez Microsoft  ? L'avantage des «liseuses» reste le confort de lecture grâce au procédé d'encre électronique, mais l'iPad propose une lecture multimédia et en couleur.

L’édition n’a donc pas été négligée par la firme de Cupertino. La société a signé des partenariats avec cinq des plus gros éditeurs américains (Macmillan, Simon & Shuster, HarperCollins, Hachette Book Group et Penguin), et elle négocie encore avec le plus grand, Random House. L’iBook Store proposerait ainsi environ 60000 titres à télécharger.

«On vient de voir les éditeurs parvenir à renverser le modèle économique qui était promu pour le Kindle» , explique Hadrien Gardeur, cofondateur de Feedbooks , site de vente de livres numériques. Pour le Kindle, c'est Amazon qui fixe les prix, bas et sans doute à perte. Sous la pression des éditeurs, Apple a adopté une politique plus ouverte et les laisse fixer le prix. Argument de poids pour renégocier avec Amazon, fragilisé par l'arrivée de l'iPad : Simon & Schuster et HarperCollins viennent ainsi de signer un accord avec le magasin en ligne qui rompt avec le prix habituel de 9,99dollars, en relevant celui des nouveautés à 12,99 ou à 14,99 dollars. Des tarifs similaires à ceux convenus avec Apple pour l'iPad… De cette rivalité, les éditeurs ont donc sans doute à gagner.

Journaux : la promesse du «payant»

Personne ou presque ne l’a eu entre les mains. Mais pour la presse quotidienne, l’iPad véhicule la promesse d’un nouveau support de lecture des journaux et d’une transition numérique payante. L’iPhone était une première étape probante, montrant que le succès en nombre de téléchargements pouvait être au rendez-vous. Puis la presse s’est ruée sur l’iPad, travaillant en amont de son lancement, à l’aveugle, sûre qu’il fallait y aller.

La majorité des éditeurs français développent ainsi des applications avec achat au numéro et abonnements parfois couplés avec le papier, le site et le mobile. Car enfin, avec cette tablette magique multifonctions, la presse peut envisager un modèle payant qui captera les lecteurs. Et de sortir du mortifère rapport avec Google, voire d'espérer une issue à la crise structurelle. L'iPad «pourrait constituer une solution de rechange pour la distribution de la presse» , avançait même vendredi Alain Weill, PDG de NextradioTV, propriétaire de la Tribune .

Certains n'ont pas attendu la disponibilité de la tablette en France pour être dessus, tel Paris Match . Depuis sa sortie aux Etats-Unis, samedi, le Monde propose aussi une première version de son application à 0,79dollar le numéro qui permet de feuilleter l'édition papier avec possibilité de zoomer. «Pour le lancement en France, nous préparons une version 2, plus multimédia» , expliquait Philippe Jeannet, PDG du Monde interactif et promoteur de feu le premier e-paper français aux Echos . Car l'atout essentiel de cette tablette est d'être multimédia et d'inciter la presse à innover plus profondément (vidéos, interactivité et son) qu'elle n'a pu le faire avec le Web. D'autres journaux, comme les Echos , fourbissent leurs applications pour le lancement français. Le Figaro vante un produit «multimédia et pas seulement une édition électronique du quotidien» . La Tribune et Libération proposeront leur édition feuilletable dès le soir même.

Informatique : une nouvelle convergence

Vendant avec maestria son nouveau gadget en janvier, Steve Jobs a vanté son caractère «vraiment magique et révolutionnaire» . L'iPad représente-il une évolution dans l'histoire des outils informatiques ? Par son caractère hybride, oui. Situé à mi-chemin entre l'ordinateur portable et le smartphone, avec l'allure d'un baladeur iPod Touch grand format, il représente une nouvelle étape dans leur convergence. Mais cette tablette n'est pas encore parvenue à cumuler toutes les qualités de l'ordinateur et du mobile. Il ne téléphone pas, n'a pas d'appareil photo intégré comme son petit ancêtre l'iPhone et ne tient pas vraiment dans la poche. Donc il n'exclut pas le smartphone pour l'usager même s'il ambitionne d'en copier la mobilité.

L'iPad permet de naviguer sur Internet, via le wifi et les réseaux téléphoniques 3G, de faire son courrier, de visionner photos et vidéos en haute définition, et de jouer à des jeux vidéo… comme tout ordinateur qui se respecte. Mais il ne supporte pas de faire fonctionner deux programmes en même temps. «Vous voulez dire que je ne peux pas écouter Pandora pendant que j'écris un texte? Je ne peux pas avoir ma fenêtre Twitter ouverte en même temps que mon navigateur?…. Vous plaisantez?» , regrettait Adam Frucci sur Gizmodo. En même temps, l'iPad apparaît comme une alternative aux netbooks, les petits PC portables. Il a pour lui les 140 000 applications développées pour l'iPhone. Leur nombre va sans doute continuer à progresser gentiment, l'iPad représentant un nouveau terrain de jeux pour les développeurs. À quel tarif ? La proportion applis gratuites et payantes ne sera probablement pas la même. Les fabricants de jeux voient aussi dans l'iPad doté d'un écran de 24,2cm sur 19cm une nouvelle console capable d'évoluer comme un appareil familial qu'on se partage, moins personnalisé que l'iPhone. La manière dont est utilisé l'iPad version 1 se verra à l'usage, objet de nouveaux lieux, de nouveaux jeux, qui ne supplantera peut-être pas encore l'existant.

Paru dans Libération du 5 avril 2010

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