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Libération

iTunes 11 : il est temps d'aller écouter ailleurs

par Sophian Fanen
publié le 30 novembre 2012 à 18h11
(mis à jour le 30 novembre 2012 à 23h14)

A voir l'important flux de tweets qui ont relayé l'arrivée d'iTunes 11 dès hier soir, le logiciel d'Apple tient encore une place majeure dans la vie de beaucoup d'internautes.

Et pour cause, il est difficile d'y échapper si l'on possède un Mac ou un iPod, ou qu'on aime payer ses téléchargements (l'iTunes Store représentait encore 75% des téléchargements en France en 2011 selon le Snep ). La nouvelle version d'iTunes, annoncée pour fin octobre puis repoussée d'un mois pour « être sûr que tout fonctionne bien» » après le raté de l'application de cartographie Plans , vient même le replacer dans une course qu'il semblait négliger depuis quelque temps. Quitte à perdre au passage certains utilisateurs trop avancés, trop éloignés des préoccupations de la masse.

Itunes 1, lancé en 2001. Capture Ars Technica.

Lancé au tout début de l'année 2001, le premier iTunes avait été à l'époque le premier pas d'Apple dans la musique dématérialisée. Le logiciel ne permettait pas de faire grand-chose à part encoder des CD (pas très bien), archiver et gérer sa bibliothèque, créer des playlists, les graver. Mais il faisait tout cela gratuitement et facilement, permettait d'avoir une vision enfin claire de sa collection de disques virtuels, à un moment où la star des lecteurs s'appelait Winamp, bien plus performant et riche mais aussi bien moins pratique.

En 2001, Winamp obligeait son utilisateur à savoir exactement ce qui se trouvait dans sa collection, puisque construire ses listes de lecture impliquait d'aller chercher directement les fichiers dans leur dossier. ITunes a proposé une approche plus guidée: tout se retrouvait visible et disponible d'un clic, plus besoin de se préoccuper de l'emplacement des fichiers (même si, en vrai, il vaut mieux s'en préoccuper pour échapper aux doublons), plus besoin de passer du temps à s'assurer que ses playlists sont enregistrées. Comme à son habitude, Apple faisait simple. Tellement simple que Winamp, racheté par AOL, n'existe plus ou presque , et qu'iTunes s'est aussi imposé sous Windows.

L'une des publicités pour le premier iTunes, en 2001.

Il a pour cela été bien aidé par une arme redoutable sortie à peine un an plus tard: l'iPod. Le baladeur d'Apple avait besoin (et a toujours besoin, même si des alternatives sont nées depuis) d'iTunes pour le nourrir. Apple a ensuite ajouté son Store à cet écosystème naissant (pour acheter de la musique, donc, on ne débattra pas ici des prix pratiqués ni de la qualité sonore offerte), avant de permettre la lecture de vidéos, la gestion de podcasts... En 2012, alors que sort sa dixième grande refonte qui vient enfin corriger les lourdeurs et lenteurs accumulées depuis dix ans, iTunes reste incontournable sur Mac et PC. Ou en tout cas tente de le rester.

C'est que certains de ses concurrents sont venus le chatouiller depuis deux ans. Rdio ou Spotify, des services de streaming gratuit et/ou sur abonnement, permettent par exemple non seulement de gérer sa propre discothèque digitale en plus de leur catalogue, mais aussi de synchroniser son baladeur (iPod ou pas). ITunes 11 ne vient pas s'attaquer à cette hémorragie, et pourrait même l'amplifier. Car Apple y fait un aveux qui n'est pas un scoop mais n'avait jamais été aussi clairement affiché: iTunes n'est pas et ne sera jamais un logiciel pour les amoureux de musique.

C'est un jukebox personnel pour consommateurs peu attentifs aux détails qui entourent une chanson. Vous souhaitez encoder votre musique dans un format au moins équivalent à un CD? Apple ne propose que son (bon) format maison, l'Apple Lossless -- iTunes ne lit ni le Flac ni le Ogg Vorbis, pourtant devenus très courants en ligne. Vous voulez vous assurer que les informations que vous avez patiemment attachées à vos morceaux préférés (les fameuses métadonnées ) seront conservées si vous les sortez d'iTunes pour les mettre par exemple sur une clé USB? ITunes vous réservera beaucoup de mauvaises surprises dans ce domaine. Ivre, vous rêvez d'une interface facile à configurer selon vos besoins, qui pourrait aller piocher sur Internet, sur Wikipédia ou Discogs notamment, pour rassembler les informations disponibles sur un disque? Il faudra repasser.

ITunes 11 ne comble aucune de ces lacunes. Cette mise à jour n'est qu'une refonte technique réussie, en plus d'une refonte graphique elle aussi assez efficace. C'est une version agréable à utiliser, qui facilite la recherche et la construction de playlists à la volée, intègre mieux la lecture depuis le cloud... On ne vous fait pas le tour du propriétaire, d' autres sites l'ont très bien fait avant nous.

On se contentera de constater que, pour les utilisateurs un minimum exigeants, c'est un pas en arrière. L'organisation par album est bien jolie, mais pas du tout pratique. Pire, il faut aller fouiller dans les options pour rétablir la barre d'état (qui indique la durée et la taille d'un groupe de chansons, ça peut être utile). ITunes 11 n'est qu'une belle boite taillée avant toute chose pour renvoyer ses utilisateurs vers le magasin en ligne d'Apple. Ceux qui utilisaient encore le logiciel pour gérer leur bibliothèque de musique iront voir ailleurs.

Or, ça tombe bien, cet ailleurs est de plus en plus convaincant, aujourd'hui. On se perdrait à comparer les qualités et les défauts des logiciels disponibles pour Windows, Mac ou Linux (leurs caractéristiques sont comparées ici ), mais on peut pointer leur foisonnement et leur efficacité, après quelques années de flottement. Ainsi Songbird , qui devait être le Firefox de la musique, a somnolé pendant longtemps avant de réapparaître pour desktop et mobiles. MediaMonkey et DoubleTwist sont aussi devenus des alternatives efficaces. Foobar fait également parler de lui et impressionne par sa rigueur sonore et technique, mais il reste très peu intuitif.

Clementine permet d'accéder à de nombreuses sources à partir d'une unique interface.

S'il fallait en choisir un, ce serait

. Développé depuis 2010 sur la base du projet

, ce programme open source très complet permet non seulement de gérer jusque dans les moindres détails sa bibliothèque disponible en local (métadonnées, pochettes, informations attachées, playlistes configurables, encodage avancé, etc.) mais aussi d'utiliser Spotify, Last.fm, SoundCloud, Grooveshark ou Google Drive dans la même interface... S'y ajoute des informations contextuelles piochées sur Internet lorsqu'elles sont disponibles. Clementine est loin d'être parfait (le logiciel ne lit pas les CD sur

PC

Windows, par exemple...), mais on est à des années lumières de la vision riquiqui proposée par Apple dans iTunes 11.

Alors que la musique retrouve enfin pas à pas une haute qualité sonore grâce à l'augmentation de la bande passante et des capacités de stockage; alors que les initiatives pour y réinjecter des informations se multiplient , la dernière mise à jour de l'omnipotent lecteur multimédia d'Apple vient achever de pousser les amoureux de musique vers d'autres contrées.

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