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Coi de neuf, Président?

Suite à la décision du Conseil d’Etat, le très conséquent temps de parole de Nicolas Sarkozy sera désormais pris en compte. Résultat : l’Elysée va devoir la mettre en sourdine pour respecter le pluralisme politique.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 13 avril 2009 à 8h10

Tous en chœur… A one, a two, a one, two, three, four : «Quittez les machines, dehors, prolétaires, marchez et marchez, formez-vous pour la lutte, drapeaux déployés et les armes chargées, au pas cadencé, pour l'assaut, avancez, il faut gagner le monde, prolétaires, debout.» Rien de tel qu'un petit Appel du Komintern pour se mettre en jambes : ça y est, les amis, c'est la révolution. Elle a commencé mercredi avec la claque - mais il faudrait plutôt parler de coup de boule - infligé par le Conseil d'Etat au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) désormais tenu de prendre en compte le temps de parole du président de la République . C'est-à-dire que la droite, de l'Elysée au gouvernement, va devoir la mettre un peu en veilleuse et, mécaniquement, l'opposition va voir le sien, de temps de parole, augmenter. D'où la révolution, l' Appel du Komintern , les têtes au bout des piques (soyez sympas, vous nous laissez Nonce Paolini de TF1 et Frédéric Lefebvre, hein), tout ça. Booon d'accord, on n'y est pas encore tout à fait. Le CSA doit en effet d'abord revoir toutes les règles du temps de parole et la prise de tête s'annonce des plus ardues : quand Nicolas Sarkozy est-il président de la République et quand est-il le caïd de l'UMP ? Et Carla Bruni, hein, quand elle chante, c'est pour le plaisir de faire saigner les oreilles de la nation ou pour remplir les urnes du parti présidentiel ? Dépiautage du temps de parole. Et après, juré, on zigouille les patrons.

c’est quoi, cette histoire ?

C'était en l'an 38 avant N.S., le 12 novembre 1969 du calendrier d'alors. Depuis trois jours, des vents violents balayaient le nord du pays atteignant jusqu'à 169 km/h en haut de la tour Eiffel. Sous la direction de Jean-Jacques de Bresson, connu jusqu'alors pour avoir viré ces saletés de gauchistes soixante-huitards (dont Michel Drucker), l'ORTF inaugure ce jour-là la règle des trois tiers. Il s'agit d'une directive établissant que les deux chaînes de l'ORTF doivent respecter «dans la présentation des points de vue, l'équilibre entre les représentants du pouvoir public, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent» . Soit un tiers de gouvernement, un tiers de majorité (qui généralement approuve les vues du gouvernement) et un tiers d'opposition. Mais point de tiers supplémentaire (et en plus ça ferait quatre tiers) pour les présidents successifs Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac : le Président est à part, ou plutôt au-dessus, du commun des mortels, mais aussi des partis. Jusqu'à l'an 7 avant N.S., personne d'ailleurs ne bouge une oreille. Ou presque. En 2000, le CSA se met à compter sur ses 90 doigts (il y a neuf conseillers) le temps de parole du président, mais c'est pour de rire : le relevé n'est imputé à aucun des trois tiers. Léger averto en 2003 : le Bernie Show caritatif de l'alors première dame sur la Trois fait grincer le socialiste François Hollande qui s'en ouvre auprès du CSA. Lequel prend alors une décision foudroyante : sur les 32 minutes et 51 secondes pendant lesquelles Bernadette Chirac s'est exprimée, 7 sont imputées à la majorité car Maman a tenu des propos «qui relevaient d'une prise de position politique» et Maman est élue en Corrèze. En 2005, l'absence de prise en compte du verbe présidentiel est remise en cause à l'occasion du référendum européen que soutient Jacques Chirac mais rien ne bouge.

Et pourquoi ça tombe sur Sarkozy ?

Et puis, Il est venu sauver la France. Etourdies par Sa splendeur, les chaînes ne pouvaient que Lui donner la parole, tout le temps, sans cesse. Entre juillet 2007 et juin 2008, Il représente à Lui tout seul 20 % du temps de parole des personnalités politiques quand, entre 1989 et 2005, Mitterrand et Chirac se hissaient péniblement à 7 %, ces deux gros nazes. Mais ça commence à se voir. Un peu. Beaucoup. L’hyperprésident, l’omniprésident est partout, s’invite sur les plateaux, convie TF1 à l’Elysée, multiplie les déplacements entraînant à sa suite une horde de journalistes et de chaînes infos transmettant en direct le moindre haussement d’épaule de Nicolas Sarkozy. Et une nouvelle plainte socialiste, retoquée d’abord par le CSA puis portée devant le Conseil d’Etat, aboutit finalement à la décision de mercredi. Au terme d’une analyse de la Constitution et des nouvelles pratiques présidentielles qu’on vous fait courte, il ne l’envoie pas dire : «Il paraît difficile de considérer que la parole présidentielle est, par nature et toujours, neutre.» Soit : Elysée égale UMP (ou presque).

Le président va-t-il devoir se taire ?

Qu'on se rassure/désespère (merci de rayer la mention inutile en fonction de vos inclinations politiques) : non. Mais le CSA va devoir - ce sera après les élections européennes de juin - établir de nouvelles règles, qualitatives au lieu de quantitatives, afin d'établir ce qui ressortit à la parole régalienne et à la parole politique. C'est-à-dire qu'il va falloir déterminer quand Nicolas Sarkozy s'exprime au nom de tous les Français et quand il tente de s'assurer un second mandat. Pour le Conseil d'Etat, si Nicolas Sarkozy venait à dire à l'antenne «Les Français, Laurence Ferrari, y sont comme moi, y veulent pas voter pour le PS mais si y en a que ça les démange de voter pour l'UMP, qu'y s'gênent pas» , alors zou, on met sur le compte de la droite. Et ça vaut aussi pour tous les Guaino, Guéant et autres très bavards collaborateurs du Président qui ne couperont pas à la règle. Ce que Henri Guaino, grand seigneur, a jugé vendredi «tout à fait normal» . Et la gauche va pouvoir l'ouvrir un peu plus. De l'ordre de 10 % par rapport à aujourd'hui, juge-t-on au CSA, soit, par exemple, une dizaine d'heures en plus par an sur France 2. En revanche, les hommages présidentiels à des morts ou à la Résistance pourraient ne pas être pris en compte. Ce n'est pas pour faire nos empêcheurs de prise en compte du temps de parole présidentielle, mais ça se discute tout de même. Et quand il va aller frimer avec Obama en juin sur les plages normandes, ce sera du lard de président ou du cochon de politique ?

Et Carla bruni, va-t-elle arrêter de chanter ?

«Pourtant quelqu'un m'a dit que… Tu m'aimais encore…» Gnagnagna. Et si, dans le même temps qu'on fait fermer sa boîte à camembert au Président, on en profitait pour claquer le beignet à Carla Bruni ? On ne va pas se mentir, ça va être compliqué. Et là, comme vous avez bien suivi, vous vous exclamez en chœur : «Et le Bernie Show alors ?» D'accord, 7 des 32 minutes et 51 secondes des propos bernisiens avaient été imputées à l'UMP au nom de ses mandats locaux. Mais les 25 minutes et 51 secondes restantes alors ? Même si, à l'époque, elles n'avaient pas été affectées, elles avaient quand même été relevées au nom de la «Présidence de la République» . Alors, continuez-vous dans le fol espoir de voir enfin s'éteindre ce filet de voix, pourquoi n'appliquerait-on donc pas désormais la même règle à Carla Bruni ? Eh bien, parce que, considère-t-on au CSA, le temps de parole des parents ou conjoints de responsables politiques n'est pris en compte que s'ils ont un engagement politique connu. Oui mais, tout de même vous indignez-vous, et quand Carla Bruni, dans un documentaire gentiment diffusé par France 2 en janvier, devise avec les journalistes dans les jardins de l'Elysée et que, oups, son mari, passe dans le champ, c'est du mou de veau ? Heu, eh bien, on peut compter sur le CSA pour que ça le devienne. Et de fait, il n'y a qu'un cas où Carla Bruni-Sarkozy se verrait couper le sifflet : si elle se mettait à chanter «Pourtant quelqu'un m'a dit de… voter UMP» .

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