Comcast-NBC Universal, un ogre numérique est né

par Lorraine Millot
publié le 21 janvier 2011 à 10h03

TF1 rachetée par Free… Rectificatif, ce n’est pas encore en France mais aux États-Unis que le feu vert vient d’être donné à une fusion -- plus ou moins -- comparable entre Comcast, premier fournisseur d’accès à Internet et câblo-opérateur, et NBC Universal, un groupe audiovisuel formé autour de la chaîne NBC, qui fut longtemps la plus regardée du pays.

Avant d'autoriser ce rapprochement, qui pourrait faire des émules aux États-Unis comme en Europe, les régulateurs américains ont épluché le dossier pendant plus d'un an et fixé une série de conditions. Le nouveau goliath a dû s'engager à garantir l'accès aux programmes de NBC à ses concurrents, qu'ils soient fournisseurs d'accès par câble, satellite ou Internet. Comcast-NBCU devra aussi permettre la diffusion sur son réseau câblé des programmes concurrents de NBC. Pour obtenir l'imprimatur de la FCC, la commission chargée de réguler les télécommunications aux États-Unis, Comcast-NBCU s'est encore engagé à développer ses programmes d'information locale et ceux destinés aux enfants et aux minorités noires, latinos ou asiatiques. Comcast pourra reprendre les parts de NBC dans Hulu, un site de vidéo à la demande, mais ne pourra pas en exercer la «direction opérationnelle» , a exigé la FCC, qui estime ainsi minimiser le risque que Comcast ne cherche à tuer Hulu pour que les Américains ne prennent pas l'habitude de regarder des vidéos en ligne et continuent plutôt à s'abonner au câble.

Parée de ces quelques garde-fous, la fusion servira «l'intérêt public» , a conclu mardi la FCC. Sur ces cinq membres, un seul, le démocrate Michael Copps, a émis un avis discordant : ce rachat de NBC par Comcast «va conférer trop de pouvoir dans les mains d'une seule compagnie» , a-t-il protesté. La fusion ouvre la voie à la «câblisation» ( cable-ization en anglais, un mot nouveau) de l'Internet ouvert, redoute ce régulateur. L'administration Obama se flatte d'avoir pris son temps avant d'autoriser cette fusion (Comcast avait annoncé son intention de racheter NBC en décembre 2009 déjà) et d'avoir fixé des contraintes qui permettront de mieux préserver les intérêts du public dans ce domaine en pleine métamorphose. Susan Crawford, ancienne conseillère de Barack Obama pour les questions technologiques, dénonce pourtant véhémentement cette fusion dans un livre à venir, intitulé The Big Squeeze («le Grand Essorage»). «Comcast va devenir un géant qui pourra extorquer toujours plus d'argent aux téléspectateurs et de concessions au gouvernement. Pour faire autoriser cette fusion, Comcast avait employé pas moins d'une centaine de lobbyistes et dépensé quelque 100 millions de dollars [74 millions d'euros, ndlr] , souligne cette experte. Et ce n'est qu'un début, cet accord va donner à Comcast un pouvoir sans équivalent.»

Cette fusion n'est tout de même pas totalement sans précédent : en 2000, le premier fournisseur d'accès à Internet de l'époque, AOL, s'était emparé d'un géant du contenu, le groupe Time Warner. Les synergies attendues de cette fusion n'ont jamais fonctionné, et en 2009, Time Warner s'est séparé d'AOL pour mettre fin au désastre. «AOL était sans doute en avance sur son époque , juge Susan Crawford. On peut penser aujourd'hui que Comcast pourrait réaliser ce que AOL n'avait pas réussi à l'époque.» La fusion Comcast-NBC pourrait être aussi un prélude à d'autres rapprochements de colosses, «puisque le gouvernement américain ne semble pas y voir d'objections» , entre les quelques grands fournisseurs de contenus audiovisuels américains comme Disney, Viacom ou News Corp d'un côté et les fournisseurs d'accès comme Cox, Time Warner Cable, ATT ou Verizon, prédit cette analyste. Et le Vieux Continent pourrait suivre, indique-t-elle : «En Europe, il faudra surveiller ce que fait John Malone avec Liberty Media» , l'ex-propriétaire de l'actuel câblo-opérateur français Numéricable et ancien actionnaire de Canal +.

Paru dans Libération du 20 janvier 2011

De notre correspondante à Washington

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