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Histoire

Coulommiers, la TNT appâte dur

Cette ville pilote, en Seine-et-Marne, est la première à abandonner la télévision analogique pour passer au tout numérique.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 4 février 2009 à 6h51
(mis à jour le 4 février 2009 à 6h51)

La grande nouvelle ne fait pas la une du Pays briard, consacrée à la fermeture des abattoirs de Coulommiers. Mais ici, tout le monde est au courant. Dans l'édition d'hier du journal «régional et indépendant depuis 1886» (parution les vendredis et mardis), on en fait mention à trois reprises : le concert de NRJ 12, samedi à La Sucrerie («une soirée qui s'annonce déjà mémorable» puisqu'y est annoncé Stomy Bugsy) ; puis la «saine piqûre de rappel» pratiquée le week-end dernier par des jeunes columériens sur les marchés pour convertir les foules ; et un papier principal titré «Ce qui vous attend le 4 février», surtitré «TNT, un jour historique pour Coulommiers». C'est même pour toute la France que le jour est historique : aujourd'hui, à 10 heures, la télé analogique aura vécu. Du moins dans cette ville pilote de Seine-et-Marne où elle laisse la place à la seule TNT. Pour fêter ça, avant le raout ministériel de l'après-midi, Gulli organise «un super-goûter» ainsi qu'un tifo où 156 gamins du coin dévoileront d'abord le logo de la chaîne pour enfants puis la phrase «Bienvenue à la télé tout numérique». Mignon.

«Ah, m'emmerdez pas avec votre TNT.» Un peu saoulé, le grand-père. Depuis trois mois que la mairie et le groupement France Télé Numérique ratissent Coulommiers et ses environs pour informer les habitants, faut dire qu'elle est partout. Sur les banderoles siglées Gulli, la chaîne pour enfants, qui ponctuent l'avenue de Strasbourg, sur chaque panneau d'affichage, où, entre le loto de samedi dernier et le concert de cors de chasse de samedi prochain (par l'orchestre rallye Saint-Hubert de Champagne), trône la même annonce : «Bienvenue à la télé tout numérique !» Oui, encore.

Si Coulommiers ne plaisante pas avec la TNT, c'est qu'elle a été choisie à l'issue d'un très sérieux appel d'offres lancé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Parmi sept concurrentes, c'est la cité de Seine-et-Marne qui a été distinguée «parce qu'elle comptait 15 000 habitants et un seul émetteur pour ne pas compliquer les choses», indique-t-on au CSA. Avec Coulommiers, l'instance partait de zéro puisqu'avant ce qu'on appelle au CSA un rien pompeusement «Les 88 jours de Coulommiers», la ville ne recevait pas du tout la TNT. Suivront, en avril, Kaysersberg en Alsace et ses 5 000 habitants, puis, gros morceau, Cherbourg et ses 200 000 Cherbourgeois. Ensuite, snif, l'analogique mourra peu à peu, par plaques, jusqu'à s'éteindre définitivement, et si tout va bien, fin 2011.

Laboratoire. En attendant, c'est Coulommiers qui s'y colle et fait office de laboratoire. Face à la mairie ornée d'un pauvre compteur qui affiche «J-1», à l'angle de la rue du général de Gaulle et du riquiqui passage Venet Rotival, voilà, abrité par l'office de tourisme, le QG des assassins de l'analogique. Un panneau a été apposé au frontispice, à l'intitulé un rien funèbre : «Le passage.» C'est là qu'on vient se renseigner sur le décès programmé de l'analogique, auprès de Laurence, qui fait l'article des 18 chaînes gratuites, de l'équipement nécessaire, et remplit les dossiers d'aide à l'équipement pour les plus pauvres (jusqu'à 30 euros pour acheter un adaptateur). Cette blonde columérienne est équipée de deux enfants et de la TNT depuis déjà un an : «W9, Virgin 17, Gulli, chez moi, c'est en boucle.» Par quel miracle ? On n'est pas loin de Paris et Laurence, elle, reçoit la TNT depuis l'émetteur de la tour Eiffel. 94 % des foyers de Coulommiers seraient déjà équipés, les 6 % restants sont pour Laurence.

L'affaire n'est pas bien compliquée : inutile de tripoter son antenne râteau orientée vers l'émetteur des Parrichets, au sud-ouest de Coulommiers, c'est là que se fera le basculement, le passage ou le grand switch, c'est selon. «C'est les petits papys et les petites mamies qui sont en panique, indique Laurence, d'autant que eux, W9…» Ceux qui ont un téléviseur avec TNT intégrée ou qui ont déjà acheté un adapteur ont parfois des soucis : «Il manque une chaîne ou deux, parfois il y a des petits carrés qui se forment.» D'autres regimbent carrément : «L'état d'esprit, raconte Laurence, c'est "pourquoi on nous oblige" ? C'est là où le bât blesse. J'ai même une équipe qui est venue des quartiers l'autre jour en me disant "on est pris en otage".»

Pixellisation. Car voilà, pour qui ne sera pas passé aujourd'hui à la TNT, ce sera tintin pour regarder la télé. Ecran noir. «Si je ne fais pas le nécessaire, témoigne Jean-Marc qui travaille dans «la sécurité incendie», venu se renseigner au Passage, c'est caduc.» Pas plus affolé que ça, Jean-Marc : «C'est pas parce que j'ai la TNT que je vais regarder plus la télé.» Son truc, c'est les informations, les documentaires et les films. Lui se dit «un peu soucieux», parce qu'on raconte que la réception n'est pas parfaite : la pixellisation encore. Pendant quatre jours après l'extinction de l'analogique, une assistance sera disponible.

Jordan, lui, a déjà basculé. Crâne rasé sur les côtés, ce lycéen de 17 ans, apprenti routier («Ils nous payent tous les permis»), est au courant depuis novembre que la campagne d'information a été lancée : «On a acheté une télé HD avec TNT intégrée.» Il dit ne pas trop regarder la télé, mais «la TNT c'est mieux. Déjà il y a plus de chaînes». Et surtout NT1, explique-t-il, «pour moi qui aime bien le catch et la boxe».

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