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Denis Olivennes: «Cette loi n’est pas si mauvaise que ça»

Denis Olivennes, du «Nouvel Obs», est à l’origine du projet de loi Création et Internet .
par Erwan Cario
publié le 12 mai 2009 à 17h51

Denis Olivennes, président du directoire du Nouvel Observateur , est celui par qui la loi Création et Internet a vu le jour. Le 23 novembre 2007, alors président de la Fnac, il remettait à Nicolas Sarkozy son rapport sur le piratage et préconisait la riposte graduée.

Pourquoi avez-vous publiquement critiqué le Parti socialiste pour sa position sur le projet de loi Hadopi ?

_ Il y a presque deux ans, Christine Albanel, en accord avec le président de la République, m’a chargé d’une mission qui consistait à obtenir un accord entre les parties concernées pour trouver une solution au piratage. Elle s’est adressée à quelqu’un de gauche car elle voulait que le sujet soit non partisan. On a abouti à un accord sur un dispositif de riposte graduée. Avant d’y arriver, on a regardé d’autres pistes, comme la licence globale, qu’on appelle maintenant la contribution créative, une taxe sur les abonnements pour financer la création et permettre aux internautes de télécharger librement. Tous les intervenants l’ont repoussée. J’ai été surpris, effectivement, de la position d’une partie du PS. Le groupe socialiste au Sénat a voté la loi, mais le groupe parlementaire à l’Assemblée et le bureau national ont pris une position différente. Je leur reproche de ne pas avoir fait le travail d’investigation pour élaborer cette position, de ne pas nous avoir rencontrés. Et les artistes non plus. On ne peut pas critiquer Sarkozy parce qu’il n’écoute pas les enseignants chercheurs avant de réformer, et agir de la même manière.

Peut-on vraiment légiférer sur des technologies en perpétuelle évolution ?

_ Il ne s’agit pas de trouver une solution qui réglerait le piratage jusqu’à la nuit des temps. Il faut être pragmatique. Ça fait dix ans que le piratage fait des ravages. L’objectif est de rendre un tout petit peu plus compliquée la tâche du téléchargeur illégal pour favoriser le développement d’une offre légale. Qui peut être gratuite, d’ailleurs. Si on veut donner une chance à ces sites de se déployer, il ne faut pas qu’ils soient concurrencés par des solutions illégales. Sinon, le seul qui empoche de l’argent, c’est l’opérateur de télécom. C’est ça qui me frappe dans la position de la gauche. Au fond, le piratage vient quand même du droit que se sont arrogé les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès (FAI), de faire des profits en pillant les répertoires musicaux et cinématographiques.

Ce ne sont pas les FAI qui ont créé le «peer to peer»…

_ Non, mais il y a eu des études qui ont montré qu’une très large partie du développement de l’offre à Internet haut débit s’est faite grâce à ce produit d’appel qu’était le téléchar­gement illégal. Ils en ont même fait des publicités. Il est étrange que la gauche, régulatrice, qui considère que le capitalisme débridé et sauvage est inacceptable en toute circonstance, le trouve acceptable sur Internet.

La contribution créative, proposée par le PS, est quand même une régulation massive qui consiste à transférer une partie de la valeur des opérateurs vers la création…

_ C’est vrai. Simplement, ils n’ont pas fait l’exercice mathématique jusqu’au bout. Les FAI y sont très hostiles. Le cinéma et la musique, c’est en gros 7 milliards d’euros de revenus. S’ils doivent en compenser ne serait-ce que la moitié, ça ferait de l’ordre de 20 euros par abonné et par mois. C’est presque le montant d’un abonnement Internet !

Si on se concentre sur le droit d’auteur, qui est le sujet de la loi, on arrive à des sommes plus raisonnables…

_ Mais ce sont, de toute façon, des montants qui sont jugés disproportionnés par les FAI. Et les artistes y sont hostiles. Pourquoi ? Parce qu’ils se demandent comment on va répartir cette manne. Pour les milliards de téléchargements Internet, comment est-ce qu’on va savoir la part qu’on donne à Adamo et celle qu’on donne à U2 ? On y arrivera peut-être un jour, mais il y a une solution pragmatique non répressive : on passe de 5 ans de prison et 300 000 euros d’amende à un système avec deux avertissements et une éventuelle suspension de l’abonnement. Pourquoi ne pas l’essayer avant de se lancer dans une énorme usine à gaz de taxes et de répartitions d’impôts qui me paraît effectivement socialiste, mais socialiste d’il y a cinquante ans.

Quels critères vont permettre de savoir si cette loi a été efficace ?

_ Dans les accords de l’Elysée, il était prévu qu’il y ait un indicateur du niveau de piratage.

L’indicateur ne devrait-il pas être la hausse des ventes ?

_ Non, c’est le nombre de téléchargements illégaux. On sait le suivre.

Concernant les offres légales gratuites, comme Deezer, beaucoup considèrent qu’elles dévalorisent la musique…

_ Je crois qu’ils se trompent. L’Internet de demain sera un monde multiple dans lequel les différentes offres gratuites, à l’acte, au forfait, seront présentes. A partir du moment où ces sites ont un accord avec les sociétés d’auteurs, je ne vois pas le problème.

Avec des systèmes financés par la publicité, ou d’autres tel iTunes, où la part reversée aux auteurs est opaque, la musique ne dérive-t-elle en ce moment vers un système plutôt ultralibéral ?

_ Oui, le système actuel est un système marchand dans lequel les producteurs se sont peut-être arrogé une part trop ­importante par rapport aux artistes. Pendant de très nombreuses années, les grosses maisons ont généré des profits illégitimes au détriment du consommateur. Mais c’est ce système qui a permis à la ­création musicale de se développer, on le voit tous les jours : les artistes hyper commerciaux financent ceux qui le sont moins. Il a plus d’avantages que d’inconvénients. Et en plus, Internet met aujourd’hui, et c’est heureux, ce système sous pression.

Sur le Net, les réactions des internautes sont unanimes contre la loi. Est-ce que vous comprenez cette opposition ?

_ Je vois deux types d’opposition. D’une part, celle des gens qui ne voient pas pourquoi ils paieraient quelque chose qui est actuellement gratuit. C’est l’effet de la société individualiste actuelle. Et les internautes sont le reflet de l’air du temps. D’autre part, il y a ceux qui disent vouloir bien payer pour la création, mais pas comme ça. Ceux-là, j’aimerais les convaincre que le système n’est pas complètement absurde. Il faut dialoguer avec eux, leur expliquer. Leur montrer par l’exemple que finalement, cette loi n’est pas si mauvaise que ça.

Dans un an ou plus, donc, on saura si cette loi est bonne…

_ Ou pas. Si elle ne marche pas, qu’on s’est trompé, que ça ne fonctionne pas, il faudra faire autre chose. Mais, au moins, ­essayons.

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