Do it yourself (5/5): Des copies conformes à fortes impressions

par Marie Lechner
publié le 31 août 2009 à 18h48

Michael Jackson, une icône… à croquer. Afin de rendre hommage comme il se doit au Roi de la pop, le collectif d'artistes Elshopo organisait, le 5 juillet, un happening dans le quartier des Etats-Unis à Lyon, intitulé From Black to White . Habillés et gantés de blanc, les membres du groupe ont sérigraphié le visage du défunt chanteur sur 200 crêpes avec de la sauce chocolat, aussitôt englouties par un public avide. Le chanteur n'est pas la première victime de cette grande (mal) bouffe, il y eut aussi le Che, Lech Walesa, Lénine et autres mythes renvoyés au rang «d'icônes marketing et de souvenirs prêts à consommer» .

Les trois graphistes d’Elshopo, ex des beaux-arts de Grenoble, ont fait de la sérigraphie leur médium de prédilection. Une sérigraphie déviante, expérimentale, ludique, qui se décline sur papier (poster, stickers) avec de la peinture à l’eau, phosphorescente, fluo, sur textile, mais aussi sur mortadelle, mochis (gâteaux de riz), sur crêpes avec de l’encre alimentaire (chocolat, coulis de fraise, caramel), voire à même la peau, sur des fesses poilues. Qu’importe le support pourvu qu’il y ait l’allégresse.

Show de sérigraphie sur crêpes by Elshopo, lors de Veduta, Biennale d'art de Lyon. 5 juillet 2009.

Pour Elshopo, les performances sérigraphiques sont l'occasion d'aller à la rencontre d'un public qui n'hésite pas à retirer son tee-shirt pour une impression originale en direct, à l'occasion, par exemple, du festival Sonic Protest à Paris. «Nike, Armani et Levis ont trouvé le moyen de faire payer leurs hommes-sandwichs pour porter leurs tristes fripes, sans rien en retour. Pour Elshopo, le tee-shirt est un support de communication efficace et ludique, une sorte de poster à porter, de message vivant.»

A l'ère du numérique et de la copie conforme déclinée à l'infini, cette technique d'impression qui fonctionne comme un pochoir amélioré (grâce à un tissu qui laisse passer l'encre sur le support) confère un aspect fait maison aux productions en série, un supplément d'âme artisanal, avec son lot d'erreurs et d'à peu près. «La sérigraphie, qui reste encore principalement cantonnée à l'industrie, est une technique très simple et accessible à tous, dans son garage ou même dans son salon» , expliquent les compères capables de monter en quelques minutes un atelier d'impression clandestin à Berlin pour confectionner les affiches d'un concert : «Insolation des écrans dans le salon avec une mini-lampe à UV accrochée au lustre, rinçage de l'émulsion au karcher dans la baignoire, tirage avec des encres à eau non polluantes dans la chambre d'amis, avant de coller les posters maison sur les murs de la ville.»

Soucieux de diffuser largement leur savoir-faire, Julien, Aurélien, Romain et Jérémie offrent des manuels pour rendre la «sérigraphie simple et efficace» , dévoilant leurs petits secrets, comme utiliser le soleil pour insoler ses écrans plutôt qu'une lampe à ultraviolets, ou comment fabriquer une machine à tee-shirt avec deux charnières et une planche en bois. Ces modes d'emploi se déclinent en poster sérigraphié à découper soi-même pour obtenir un livret de 12 pages, sous forme de flip book (folioscope), ou encore en pdf à télécharger gratuitement sur le site. Le manuel sérigraphié se retrouve également à la fin de leur catalogue Elshopo Cabinet disponible sous licence art libre.

Sérigraphie de la couverture du catalogue sur cuvette de toilettes avec l'aide de Chienpo leur mascotte

Confronté à l'exiguïté des appartements parisiens, où certains membres du collectif habitent désormais, Elshopo a conçu un «kit de sérigraphie domestique», fabriquant son propre outil de production. Le prototype, imaginé en Hollande dans les locaux de l'atelier Van Lieshout, est produit en petites séries en Ardèche. « La machine sérigraphiante , icône du Do it yourself à la sauce Elshopo, véhicule les techniques low tech de la sérigraphie à l'ère du numérique et transmettant l'envie de produire et d'échanger», expose le collectif.

En 2005, ils ont ainsi sillonné l’Europe de l’Est à bord d’un camion aménagé en laboratoire de sérigraphie mobile. Le long de leur road trip, ils récoltent des images pour tenter de saisir ce qui fait la culture visuelle des pays traversés. A Cracovie, le public est invité à choisir la crêpe capitaliste (le logo Yes) ou la crêpe communiste (à l’effigie de Lénine, Marx et Engels).

Elshopo sérigraphie à tout-va : ronds à bière Walter Benjamin pour philosophie de comptoir, sacs d’emballage papier Sex Kebab and Computer, utilisables indifféremment dans tous les magasins du quartier de Varsovie, Spampostcards sur papiers transparents recouvrant les images touristiques de Tallinn, customisation du dos des cartes de crédit empruntés aux passants méfiants à Gand, estampillée «Capitalism is organised crime», Cash City… Leur catalogue, intitulé Elshopo Cabinet - la couverture a été sérigraphiée sur une cuvette de toilettes - retrace leurs expérimentations loufoques.

Dernière de leur invention, la guitare sérigraphique qui propose une issue à la crise actuelle du disque en permettant au musicien de produire directement ses albums pendant le concert. Recto, il joue de la guitare, verso, l'instrument hybride se transforme en machine d'impression pour sérigraphier en live ses CD et flyers. «Do it yourself, selon le mot d'ordre des punks dans l'Angleterre des années 70. Pas besoin de maîtriser l'instrument pour en jouer !» Plus punks d'ailleurs que PopArt (Warhol et Lichtenstein ont fait de la sérigraphie leur médium idéal, transformant l'objet d'art en produit dupplicable à l'infini), les rebelles d'Elshopo ont de l'encre sur les mains.

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