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Libération

Free : tout compris, c'est plus cher

par Andréa Fradin
publié le 5 juillet 2010 à 18h26
(mis à jour le 6 juillet 2010 à 15h06)

Il y a moins d'une semaine, les abonnés de Free découvraient le tout nouveau service TV Replay de l'opérateur , offrant gracieusement de « voir ou revoir les programmes de 33 chaînes dans les 7 jours qui suivent leur diffusion » , annonçait un communiqué. Mais la dite annonce semble avoir occulté une information: la possibilité, pour les abonnés, d'adopter une option payante, leur assurant «un accès prioritaire aux programmes de toutes les chaînes entre 19 heures et 22 heures» . Moyennant 0,99 euro pour une soirée, ou 3,99 euros pour le mois complet, les abonnés qui dégaineront leur porte-monnaie bénéficieront donc d'une meilleure qualité de service; les autres quant à eux, pourront souffrir d'une prestation dégradée, si les réseaux ou la bande passante venaient à saturer.

L'instauration de tels forfaits, non obligatoires et dont les montants sont assez modiques, pourrait finalement paraître dérisoire, mais ce serait oublier sa signification en terme de neutralité des réseaux, aujourd'hui au centre des préoccupations française et européenne . En créant cette option, Free pourrait initier un service à deux vitesses, l'accès différencié à un même contenu en ligne. Le concept de neutralité, tel qu'il a été défini à l'origine, revendique pourtant la possibilité, pour chacun, d'aller sur un site, et ce quels que soient son fournisseur d'accès, sa localisation ou le contenu visité.

Pour Edouard Barreiro, chargé de mission sur les technologies de l'information à l'UFC-Que Choisir, et qui a déjà pris part au débat, l'option de Free est «inquiétante, dans la mesure où elle manque de clarté» . «Bien sûr, les services gérés existent déjà et existeront toujours , concède-t-il, mais le problème est que Free n'explique pas sa démarche: on peut donc craindre l'instauration progressive d'un Internet à deux vitesses.» Il redoute le scénario qui mènerait l'opérateur à dégrader sa qualité de service sur Internet, pour des sites tels Youtube, pour contraindre, de fait, les abonnés à se déporter sur l'offre payante de Replay. Un cas de figure qui serait «clairement de l'ordre de la discrimination» , soit complètement à l'encontre du principe de neutralité.

Du côté de Free, c'est le silence radio, ou presque. Contacté dans la journée, l'opérateur a annoncé «ne pas avoir de déclaration particulière à faire sur cette option» . Vendredi, il se justifiait brièvement auprès de 01net , disant qu'il s'agissait «juste de précautions pour offrir un accès optimal au service» .

La position de Free vient relancer une question brûlante du dossier sur la neutralité: à quoi renvoie la notion de «services gérés» ? La synthèse de la consultation publique menée par Nathalie Kosciusko-Morizet, rendue le 21 juin dernier , admet clairement la possibilité, pour les opérateurs, d'offrir deux types de services: «des services d'accès à l'Internet public (le Net)» d'une part, des «services gérés» , dont la particularité serait de «répondre à des besoins spécifiques» , d'autre part. Ces «besoins spécifiques» pourraient renvoyer à l'allocation prioritaire de bande passante à un site d'intérêt général -- comme la télémédecine, ou, comme l'avancent «plusieurs acteurs» de l'Internet, au financement «d'une partie des investissements dans les infrastructures» . Acteurs parmi lesquels figurent en belle place les opérateurs, qui rechignent à endosser seuls le coût de l'entretien des tuyaux du réseau et qui ne seraient donc pas contre une contribution financière des sites gourmands en bande passante... ou des consommateurs. Le risque serait alors de voir l'Internet d'aujourd'hui intégralement transvasé dans des services gérés et hors de prix: «on se retrouverait alors avec d'un côté, des offres d'accès à Internet de base et de mauvaise qualité, et de l'autre, des services gérés, très coûteux, mais à la qualité optimale» , redoute ainsi Edouard Barreiro.

Dans l'attente d'une clarification de la part de Free, le gouvernement devra redoubler de prudence quant à la définition de ces fameux services afin d'éviter, comme le suggèrent les premières orientations de l'Arcep , «la dégradation de la qualité de l'accès à l'internet (en particulier au bénéfice des services gérés)» .

Sur le même sujet :

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