Menu
Libération

L'Adami : «les majors sont en train de tuer le streaming gratuit»

par Alexandre Hervaud
publié le 6 juin 2011 à 17h36
(mis à jour le 6 juin 2011 à 17h41)

L'information est sortie dans l'entretien paru dans Libé ce matin d'Axel Dauchez, PDG de Deezer : à compter d'aujourd'hui, l'écoute gratuite de musique sur le service aux 1,2 millions d'abonnés payants (merci la vente liée avec les abonnements Orange !) sera limitée à 5 heures par mois. L'annonce a entraîné son lot de réactions peu enthousiastes, aussi bien -- sans surprise -- du côté des utilisateurs de la version gratuite de Deezer que de certains professionnels du secteur.

Plus mesuré, mais pas moins piquant, un communiqué de presse de l'Adami (administration des droits des artistes et des musiciens interprètes) lisible ici en pdf révèle le mécontentement de cette société de gestion de droits. On peut notamment y lire : «cette stratégie aura pour conséquence l'avènement d'une licence globale « privative » contrôlée par les producteurs phonographiques. Ces derniers, en 2005 durant la loi DADVSI, avaient vigoureusement combattu la licence globale au motif qu'elle était contraire à l'idée de marché. Ce précepte est aujourd'hui oublié. Le modèle proposé ouvre la porte à la concentration et nuira à la diversité» .

Nous avons contacté Bruno Boutleux, directeur général de l'Adami, afin d'avoir son point de vue sur cette nouveauté proposée par Deezer qui intervient quelques semaines après un changement relativement similaire adoptée par le concurrent Spotify .

Comment l'Adami a-t-elle réagi devant le changement de service proposé par Deezer ?

Comme indiqué dans le communiqué, on peut faire une analogie avec la radio : si on limitait son écoute à cinq heures par mois, pas sûr que les ventes de disques s'en ressentiraient... Depuis des années, nous militons pour la gestion collective des droits musicaux sur Internet : Deezer se présente lui-même comme un mélange entre un média, avec sa partie éditorialisée, et un distributeur. Sur la fonction média, il nous apparaît naturel que la gestion collective des droits s’applique, selon le même traitement en vigueur pour les radios, les télévisions, etc.

Pouvez vous rappeler le principe de la gestion collective des droits ?

C'est le fait de prélever à la source la rémunération pour chaque ayant droit (artiste, auteur, producteur) que ce soit après une diffusion télé, radio ou dans des espaces type bars, discothèques, etc. Dans le système actuel, pour les sites comme Deezer, la rémunération est gérée par les producteurs dans des conditions absolument pas favorables aux artistes, puisqu’avec la gestion collective, on se situe dans un partage à 50/50 entre artistes et producteurs, alors que le système en place pour Deezer et autres, c’est plutôt du 90/10 en faveur des producteurs.

Concrètement, gérer le nombre d’écoutes de toutes les pistes proposées par Deezer et Spotify, ça serait pas une usine à gaz ?

Si c'était une usine à gaz pour nous, l'Adami, dont c'est le métier depuis plus de 25 ans et qui redistribue chaque année à 50000 artistes, imaginez ce que ça serait pour les producteurs indépendants sans la même force de frappe ! Non, au contraire, avec les nouvelles technologies dont sont équipées les plateformes de streaming, on dispose d'une excellente qualité de reporting [nombre d'écoutes par pistes, durée d'écoute, etc.] indispensable pour la répartition. Les artistes sont lésés par les usages massifs, le streaming gratuit à la demande ne paye presque rien : 0,001 euros par clic selon l'une de nos études, et le tout avant répartition !

La gestion collective pourrait-elle être suivie par des plateformes qui n’auraient pas les moyens de suivre ?

Ce qui fait avant tout débourser le plus d'argent pour les plateformes, ce sont les avances considérables et les minima garantis imposés par les majors pour avoir accès à leur catalogue ! Les plateformes ne souffrent pas tant du coût des acquisitions que des conditions qui leur sont imposées. La gestion collective permettrait d'assainir leurs relations avec les ayants droit, qui traiteraient Deezer comme un équivalent de NRJ. Avec le coup des cinq heures gratuites, les majors ont créé les conditions de la mort du streaming gratuit, dont on avait déjà parlé il y a quelques mois. On observe un fort taux de transformation, du gratuit au payant, dans l'offre légale. Limiter la gratuité, c'est limiter ce taux-là, et ce n'est pas souhaitable. J'ai parlé ce matin à Axel Dauchez, pour lui c'est une catastrophe, les internautes sont furieux.

NB : hasard du calendrier, une chronique du toujours mordant Charlie Brooker est parue dans le Guardian du jour. Intitulée «Si Internet offrait des massages gratuits, les gens se plaindraient s'il arrêtait parce qu'il a mal aux doigts» , elle évoque les récents changements tarifaires de Spotify, le réflexe de la gratuité sur le Net, et la difficulté à imposer un modèle payant aux internautes habitués à ne pas payer...

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique