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Libération

La Suisse vers l'interdiction totale des «jeux vidéo violents»

par Andréa Fradin
publié le 25 mars 2010 à 16h53

Rien n'est encore fait, mais c'est une information surprenante qui nous provient de Suisse. Le Conseil des Etats, équivalent de du Sénat en France, vient d'adopter deux motions visant à interdire les «jeux vidéo violents». Cette décision radicale fait suite à celle du Conseil National (chambre haute suisse), datée de juin dernier et qui allait dans le même sens.

Pour être précis, le Conseil des Etats a d'abord voté à 27 voix contre 1 l'interdiction de la vente de jeux vidéo violents aux mineurs, avant d'opter, à 19 contre 12, pour une interdiction pure et simple de ces même jeux. La connaissance des rouages politiques suisses n'étant pas évidente pour tous, il faut savoir que ce vote donne le feu vert au pouvoir exécutif suisse, le Conseil fédéral, pour rédiger une loi en la matière, projet qui sera renvoyé au Parlement en temps voulu. En clair, les jeux vidéo dits «violents» n'ont pas encore été interdits. Mais des pas en ce sens ont été faits. Et ont créé un tollé en Helvétie.

Dans les pages du Temps , Electronic Arts voit rouge: «Cette censure démontre que les politiciens ne comprennent ni notre industrie, ni les consommateurs» a expliqué une porte-parole. Même son de cloche du côté de Philippe Nantermod, vice-président des jeunes libéraux-radicaux suisses, lui-même amateur de jeux vidéo (un portrait glané sur la toile nous indique qu'il a été chroniqueur pour TVGuide à l'âge de 11 ans, CQFD), qui a traité les sénateurs de «has been» qui plus est «complètement givrés» .

Le débat suisse vient raviver une nouvelle fois le vieux débat: les images violentes, en l'occurrence dans les jeux vidéo, rendent-elles plus violent? Si les mondes scientifique et politiques se sont appropriées la question il y a déjà fort longtemps --notamment sur son pendant télévisuel, aucune étude n'a réellement permis de trancher la question. Mais quand une des parlementaires, Géraldine Savary, concède qu'aucun lien n'a effectivement été établi entre images et comportement violents, elle estime néanmoins que le «doute [est] trop grand pour ne pas poser la question [...]» et que c'est «justement pour cela» qu'une réflexion globale doit être menée. «Même si j'ai des doutes sur une interdiction pure et simple, je préfère laisser cette possibilité au gouvernement» , a-t-elle ajoutée. Admettre son ignorance sur un sujet tout en ouvrant la voie à une restriction législative, voilà bien le nœud du problème pour certains parlementaires suisses, qui s'opposent à toute possibilité de censure.

Outre l'opacité du thème abordé, la décision suisse pose d'autres problèmes, notamment de définition et de détourage du problème.

Premier point branlant: qu'est-ce qu'un jeu violent ? Des « programmes de jeux dans lesquels de terribles actes de violence [sont] commis contre des êtres humains ou ressemblant à des humains » , rétorquent les sénateurs. Soit. Mais reste alors à déterminer la notion de «ressemblance avec des humains». Humanoïdes? Animaux aux attributs humains ? Casse-tête assuré.

Second souci: le public visé. Si dans le principe, l'interdiction des jeux vidéo les plus violents aux mineurs est salué par le Swiss Gamer Network , une proscription radicale paraît disproportionnée et irréaliste. Par ailleurs, EA souligne que, malgré certains fantasmes, le jeu vidéo est avant tout une histoire d'adulte: «la moyenne d'âge des joueurs est de 28 ans» , a précisé la porte-parole, avant d'ajouter «ce sont des personnes qui doivent pouvoir choisir librement leurs divertissements» .

Enfin, et c'est peut-être l'aspect le plus compromettant, comment rendre effective une telle mesure ? Les sénateurs se sont en effet prononcés pour « une base légale permettant d'interdire la production, la publicité, l'importation, la vente et la diffusion » des jeux vidéo jugés violents. Une volonté complètement à contre-courant de la tendance toujours plus appuyée au téléchargement... Et comme lance sournoisement PcInpact : «bon courage à la Suisse pour fermer les frontières du Net aux achats transfrontaliers...»

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