La pub en ligne doit-elle soutenir la création ?

La SACD propose de taxer les recettes publicitaires en ligne pour soutenir la création. L'idée n'est pas nouvelle, mais elle inquiète les acteurs de l'économie numérique française.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 29 septembre 2009 à 20h42
(mis à jour le 15 décembre 2009 à 10h28)

«Ce sont les grands gagnants du système (…), les grands oubliés du financement de la création» . Le discours est connu. Depuis plusieurs années, il est fréquemment utilisé pour justifier la taxation des fournisseurs d'accès Internet (FAI) au profit de la création. Sauf que la cible a changé. Aujourd'hui, quand Pascal Rogard, le président de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), fait cette déclaration, il ne parle plus des FAI, mais des moteurs de recherche. Plus précisément des annonceurs français qui utilisent leurs régies publicitaires. Pour Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles de Google France , il ne s'agit pas d'une enième mesure anti-Google, mais d'une proposition qui concerne et met en danger tout l'eco-système des acteurs français du numérique. «Cela participerait à faire de la France un enfer fiscal numérique» nous indique t-il.

Parallèlement à la mission Zelnik, chargée d'améliorer l'offre légale en ligne, le cabinet de conseil NPA a récemment réalisé une étude qui se penche sur la croissance et les rentrées financières des régies publicitaires des moteurs de recherche. Et les compare aux régies des médias traditionnels (TF1, M6, groupes de presse). Selon l'étude, révélée par le magazine Ecran Total , les régies web captent actuellement 77% du marché, tandis que les médias traditionnels «peinent à tirer profit des investissements consentis dans la production de contenus pour le web» . Aussi le rapport montre que, de 2006 à 2009, le chiffre d'affaires de Google a augmenté (+9%) alors que les revenus reversés à ses partenaires ont baissé (-5%). En conclusion, NPA explique qu'il est difficile de taxer ces sites en raison de leur «caractère international» et de leur localisation (Irlande, Luxembourg…). L'idée du cabinet est donc d'aller chercher l'argent à la source : chez les annonceurs français. Soit assujettir ces derniers à «une taxe assise sur leurs investissements publicitaires Internet» qui atterrirait dans un fond de financement de la création.

L'idée est reprise dans les dix propositions «pour construire la nouvelle économie de la création à l'ère numérique» formulées par la SACD dans le cadre de la mission Zelnik, et publiées aujourd'hui. Le septième point concerne «la contribution à un fonds de soutien à la création des recettes publicitaires générées sur Internet, notamment par les sites et moteurs de recherche» . La démonstration reprend les grandes lignes de l'étude de NPA Conseil : les sources de financement de la télévision ont migré vers Internet et les régies publicitaires en ligne. Ce transfert doit s'accompagner de la mise en place d'une contribution de ces acteurs. Avant de conclure que juridiquement, le plus faisable est de taxer les annonceurs.

«On s'y attendait , nous explique Benoit Tabaka, secrétaire général de l' Asic (Association des Services Internet Communautaires),. Lors de la présentation de la mission Zelnik, Jacques Toubon a clairement indiqué que c'était l'une de ses options» . Une idée saisonnière ? Il rappelle qu'elle est apparue à l'automne 2007 lors de la loi de financement , puis à l'automne 2008 lors de a loi sur l'audiovisuel .

«Une telle proposition aurait un impact sur tout le développement numérique en France» résume Olivier Esper . «C'est taxer la marine à vapeur pour financer la marine à voile» poursuit Benoît Tabaka, citant Giuseppe de Martino, le président de l'Asic. «On est en train de mettre des bâtons dans les roues de l'économie numérique française. Taxer les revenus publicitaires, c'est taxer Dailymotion, PriceMinister, Kewego, etc. Et les revenus d'un site comme Dailymotion sont basés à 100% sur la pub.» Avant de déplorer que cela arrive « au moment où la publicité est sinistrée, avec les risques de plomber toute une économie.» Au-delà, il se pose les questions de fonctionnement d'un tel système : «Comment va t-on aller taxer les annonceurs ? Comment va-t-on savoir si Renault a mis tant d'euros dans la régie publicitaire de Google ? Il n'y a aucune tracabilité.»

Google et l’ASIC vont également être auditionnés par la mission Zelnik. Et seront donc amenés à commenter cette proposition directement devant Patrice Zelnik, Guillaume Cerutti et Jacques Toubon.

Sur le même sujet :

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