«La télé connectée est un vrai bouleversement culturel»

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 7 avril 2011 à 9h12

Monsieur Numérique, c'est lui : Bruno Patino, 46 ans, qui, après le Monde et France Culture, s'est vu confier les rênes d'Internet sur France Télévisions par le président, Rémy Pflimlin, et ce, en plus de son poste de DG de France 5. Il était hier au MIP TV pour parler télé connectée.

M6 parle de «danger», Canal + ose une comparaison avec la crise de la presse écrite. Les chaînes de télé ont-elles raison d’avoir peur de la télé connectée ?

La télé connectée, c’est trois trucs. D’abord, c’est une nouvelle façon de regarder la télé, et ça, c’est le plus important ; ensuite, technologiquement, c’est la généralisation de la norme IP au monde de la télé ; et enfin, c’est l’arrivée d’un nouveau modèle économique. Je ne crois pas que les usages se tuent les uns les autres, mais les modèles économiques, oui ; on risque une vraie crise publicitaire, avec de nouveaux modèles. On peut effectivement comparer ça à la presse. Mais pour la télé, on va vers un vrai bouleversement culturel fascinant.

Lequel ?

Il y a le tsunami sur les modèles économiques, mais l’autre face du tsunami, ce sont les nouveaux usages. Jusqu’à présent, la télé, c’était une façon de réunir les gens dans le salon. La seule expérience qu’elle proposait, c’est une unité de lieu, une unité de temps : on est devant la télé - parfois en direct -, à la même heure, dans le salon ; c’est le média communautaire par excellence. Avec la télé connectée à cet univers ouvert qu’on appelle Internet, il y a partage, mais sans unité de lieu ni de temps. Quand je regarde France-Brésil, je tchate via mon téléphone avec mon cousin à São Paulo. La télé, c’est de la culture populaire, et donc du partage ; avec la télé connectée, on démultiplie le partage. Mais la seule chose dont on soit sûr, c’est que les télés vont être connectables, les gens ne se connecteront que si l’expérience est satisfaisante.

Ça ne répond pas à la question de la peur des chaînes de télé…

Elles ont peur de la perte de contrôle et de l’arrivée d’outils qu’elles ne connaissent pas bien. L’audiovisuel est un monde fermé, on l’a vu lors de l’arrivée de la TNT : dix-huit chaînes, c’était déjà trop. Avec la télé connectée, on arrive dans un système ouvert. Mais on peut avoir un système ouvert et régulé. La peur des télés, c’est de se dire «on est devenu super petits avec l’arrivée des opérateurs télécoms ; avec Google, on est microscopiques».

Ouvert et régulé, comment y arrive-t-on ?

En le disant, déjà ! Mais là, je parle en mon nom, pas en celui de France Télévisions. En promouvant des standards ou des normes qui soient les mêmes pour tous. Mais je ne suis pas pour un système totalement ouvert, il ne faut pas que tous s’approprient le travail du diffuseur et du producteur : ce serait alors comme au poker, c’est le plus riche qui gagne. Après, faut-il laisser une marge de manœuvre au téléspectateur pour qu’il mette des choses sur son écran ? Je ne vois pas au nom de quoi on pourrait le priver de mettre une application Facebook sur sa télé pour tchater pendant le match. Nous, à France Télévisions, on a mis le journal de France 2 sur Facebook, pourquoi empêcherait-on le téléspectateur de faire l’inverse ?

La télé connectée, c’est un enjeu pour France Télévisions ?

Un enjeu majeur, c’est une des priorités du numérique à France Télévisions. Ça et rattraper notre retard dans l’info, le sport, socialiser nos chaînes et tous nos programmes et préparer lourdement le transmédia. Je suis persuadé que notre mission de service public, c’est ça : promouvoir l’innovation.

Paru dans Libération du 6 avril 2011

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