Les députés UMP veulent un Internet régulé

par Astrid GIRARDEAU
publié le 17 décembre 2008 à 18h56
(mis à jour le 18 décembre 2008 à 9h12)

Le lundi 24 novembre, par un simple amendement (le 844) , l'omniprésent député UMP Frédéric Lefebvre, relançait un débat vieux de 10 ans sur la régulation d'Internet par le CSA. Au nom de la «protection de l'enfance et de l'adolescence» , il proposait d'étendre les compétences du CSA à Internet. Lundi 15 décembre, l'amendement était rejeté par les députés. Mais, à peine sorti par la porte, le projet revenait par la fenêtre. Et même par une double-fenêtre. D'un côté, par l'idée de l'injecter dans la loi Création et Internet, de l'autre par le vote, hier, d'un autre amendement, le 125 , permettant au CSA de réguler les publicités sur les sites

«de partage de données privées» . Petit retour sur ce dernier feuilleton de la saga .

Au nom de la «protection de l'enfance et de respect de la dignité de la personne» , l'amendement 844 du projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel prévoyait donc que le CSA soit en charge de la régulation et de la labellisation de tous les sites incluant des contenus audiovisuels créés par les utilisateurs. Il prévoit également, mais c'est un pan optionnel que Lefebvre abandonnera très vite, que ces sites «participent au financement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles» .

«Je tiens beaucoup à cet amendement parce que le monde vient de vivre la plus grave crise qu'il ait connue depuis 1929, et qu'une seule réponse s'est imposée – réclamée sur tous les bancs – : la régulation. Il aura fallu attendre que des établissements financiers soient en faillite, que la croissance soit au point mort, que des pays soient au bord du gouffre, pour que le monde se réveille et accepte enfin de construire un système régulé au plan international. Faudra-t-il attendre qu'il y ait des dégâts irréparables pour que le monde se décide à réguler Internet ?» C'est par cette déclaration enflammée que Frédéric Lefebvre, a entamé lundi la présentation de l'amendement à l'Assemblée nationale. «Il nous faut réagir avec nos armes» , a-t-il poursuivi, avant de rappeler l'arme qu'il propose : le CSA.

«La peur de l'Internet, pour justifier une morale par le droit» , dénonce Gilles J. Guglielmi sur son blog , qui s'inquiète, au nom de la protection des enfants, de «l''instillation progressive du moralisme dans le contrôle de l'Internet» par le gouvernement français. «Vouloir faire réguler l'Internet français par le CSA résulte d'une méconnaissance singulière des spécificités de l'Internet et du cadre règlementaire existant» réagissait pour sa part l' ASIC (Association des services Internet communautaires dans une lettre adressée aux 577 députés sur le thème «Internet n'est pas de la télévision» . Interrogé par le Monde , Giuseppe De Martino, président de l'ASIC et directeur juridique et règlementaire de Dailymotion, concluait alors : «si ce texte passe, c'est la fin de l'Internet tel qu'on le connait» .

Le texte ayant finalement été rejeté par les députés, ce dernier peut se réjouir. Enfin, pas bien longtemps. Pour deux raisons.

Dans un premier lieu, la fin de la séance parlementaire a pris des allures de scène de (mauvais) théâtre de boulevard entre Lefebvre et Albanel pour conclure à un retour de la question... dans le cadre du projet de loi « Création et Internet» :

_ - Frédéric Lefebvre : «Peut-on envisager la création d'un groupe de travail si je retire le I de mon amendement [taxe sur les vidéos sur Internet], madame la ministre ?»

_ - Christine Albanel : «La création d'un groupe de travail pour réfléchir aux modes de financement de la création par les sites hébergeurs est en effet une piste intéressante.

(...) Le projet de loi « Création et Internet » sera le bon cadre, et il arrivera à point nommé, c’est-à-dire bientôt, tout en nous laissant du temps.»

On savait déjà Christine Albanel favorable à une telle régulation. En février dernier, elle confiait ainsi à Christian Spitz (plus connu comme le Doc de Fun Radio), et à un journaliste du Figaro , une lettre de mission, dans laquelle demandait notamment de «mener une réflexion quant à une éventuelle extension des compétences du CSA dans le domaine d'Internet et notamment d'un pouvoir de recommandation sur les errements les plus manifestes» . Maintenant, vue la facilité avec laquelle la ministre a réussi à faire passer en un seul jour de débat le projet de loi Création et Internet devant le Sénat, il ne serait pas étonnant, voire très envisageable, de voir se greffer de nouveaux éléments au projet avant son passage à l'Assemblée nationale, prévu en mars prochain. Par exemple, la régulation du net par le CSA.

Dans un second lieu, un autre amendement ( le 125 ), déposé par Françoise de Panafieu et le rapporteur Christian Kert a lui été voté. Toujours au nom de la «protection des mineurs» , il déplore «qu'un certain nombre de sites de partage de données privées comportent aujourd'hui des liens publicitaires susceptibles de porter atteinte» aux internautes mineurs et donc propose la régulation par le CSA des publicités «des services consistants à éditer du contenu créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d'échanges au sein de communautés d'intérêts qui pourraient nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.»

Le texte très flou. Il ne définit ni quelles publicités (bannières, adwords, etc.), ni quels types de sites -- les spécificités des «sites de partage de données privées» restant à définir et paraissant aujourd'hui très larges-- seraient concernés. Et encore moins les moyens employés et les conditions d'application prévues. Mais ce qui est sûr pour tout le monde, c'est que pour la première fois, il met Internet sous la coupe du CSA.

Lors des débats, Patrick Bloche (PS) a tenu à rappeler que ce texte, tout comme l'amendement Lefebvre, «relève de cette frénésie visant à faire croire à nos concitoyens qu'Internet est un espace de non-droit et à confier au CSA des missions qu'il ne peut accomplir» . Il a poursuivi : «Internet est tout sauf un espace de non-droit. La plupart du temps, le droit commun suffit pour le réguler. Heureusement, la protection des mineurs est d'ores et déjà assurée sur Internet. La police, la gendarmerie peuvent intervenir. Et la justice a la possibilité de se saisir de tous les contenus qui circulent et qui peuvent constituer une atteinte à la protection des mineurs. Je vois donc dans ces amendements un simple effet d'annonce (...) qui vise à se faire plaisir à peu de frais et à entretenir l'illusion que le CSA peut réguler l'Internet. Telle n'est pas sa mission. Réguler l'audiovisuel lui suffit bien largement !»

Les réactions n'ont pas tardé. Dans un communiqué titré «Un amalgame désastreux entre internet et télévision» , l' ASIC rappelle que «le projet de loi sur l'audiovisuel est supposé transposer une directive européenne qui ne contient nullement de telles dispositions» et s'insurge : «faut-il rappeler qu'en dehors des régimes où sévit la censure, Internet ne connait pas les frontières ?» De son côté, la Quadrature du Net déplore un amendement «absurde» qui de nouveau vise à «imposer plus de contrôle et à contourner l'autorité judiciaire.» Pour Jérémie Zimmermann : «cette mesure est un pied dans la porte, un pas de plus vers un contrôle administratif du réseau, une mise en coupe reglée par le pouvoir politique. Et le tout au nom de la protection de l'enfance, bien sûr !» .

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