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Microsoft : il était douze petits navigateurs…

par Camille Gévaudan
publié le 25 février 2010 à 17h53

Pour accéder à Internet, certains cliquent sur un petit renard enroulé autour de la planète Terre. C’est l’icône de Mozilla Firefox, un logiciel de navigation. D’autres -- les possesseurs de Mac ou d’iPhone, surtout -- sont habitués à la petite boussole grise et bleue qui représente Safari, le navigateur d’Apple. Mais la majorité des internautes européens clique sur un petit «e» bleu. E comme Internet Explorer, le logiciel de Microsoft. Parce que l’icône est affichée depuis toujours sur le bureau de leur ordinateur. Ou parce qu’ils ignorent tout simplement qu’il en existe d’autres, libres ou propriétaires, aux performances techniques variables, plus ou moins rapides, sécurisés, personnalisables, respectueux de la vie privée et des standards du web...

Depuis quinze ans, Internet Explorer est installé par défaut sur tous les ordinateurs Windows du commerce. Mais une plainte de la société Opera Software -- concurrent d'IE -- a bouleversé la situation en 2009. Dans une « lettre de griefs », la Commission européenne a jugé abusive la position de Microsoft et a demandé que soit garantie, dans les plus brefs délais, une libre et saine concurrence entre les navigateurs. Finalement, un an et un mois auront été nécessaires à Microsoft pour monter, préciser et lancer son projet. Il fut un temps envisagé de livrer les prochaines versions de Windows sans aucun navigateur. Une idée pour le moins déconcertante, et vite remise à sa place par la Commission. Plus raisonnable, Microsoft propose alors de laisser l'utilisateur installer le logiciel de son choix parmi une liste de propositions. La solution est validée.

Aujourd'hui, le grand jour est enfin arrivé. L'écran de choix tant attendu débarque actuellement et par vagues progressive en France, au Royaume-Uni et au Benelux. D'ici la semaine prochaine, les 190 millions d'utilisateurs européens ayant laissé Internet Explorer activé par défaut devraient pouvoir télécharger la mise à jour Windows poétiquement nommée « KB976002 » (mais uniquement s'ils sont connectés sur leur ordinateur en tant qu'administrateur). Concrètement, la mise à jour installe un raccourci sur le bureau intitulé Choix du navigateur, et détermine que la page d'accueil d'Internet Explorer sera celle du ballot screen , dès son prochain lancement et jusqu'à ce le choix soit fait. La page en question est en ligne et accessible à tous depuis lundi.

Comme promis , le nombre de navigateurs proposés est fixé à douze. Les cinq plus populaires (IE, Firefox, Safari, Chrome et Opera) sont visibles d'emblée sur la page de choix, et un «ascenseur» horizontal donnera accès aux sept autres. L'ordre d'affichage aléatoire devrait éviter d'offrir à tel ou tel logiciel une place privilégiée en tête de liste. Chacun a droit à un court texte de présentation (rédigé par la société qui le développe) et deux boutons : «Installer», qui mène directement à la page d'installation de l'éditeur, et «En savoir plus», lié à la page de présentation détaillée sur le site de l'éditeur.

Les navigateurs seront-ils tous à égalité pour autant ? Rien n'est moins sûr, car Microsoft a choisi d'afficher cet écran de choix à l'intérieur même du navigateur Explorer, et non dans une fenêtre neutre comme cela lui fut suggéré. Une astuce dénoncée par le directeur technique d'Opera Software, Håkon Wium Lie, pour qui cela revient à «organiser une élection avec le logo d'un des candidats inscrits sur tous les bulletins de vote» .

Il est difficile d'évaluer dès aujourd'hui l'impact qu'aura le ballot screen sur les 190 millions d'utilisateurs européens d'Internet Explorer. Beaucoup d'entre eux ignorent jusqu'à la définition même d'un navigateur web, et risquent fort de faire leur choix d'un logo qui leur est déjà familier -- comme Google Chrome, qui a bénéficié d'une large campagne de pub dans le métro parisien, ou Explorer, qu'ils côtoient déjà quotidiennement. Pour «éviter que l'écran de choix ne se transforme en concours de beauté d'icône de navigateur» , selon les bons mots de Tristan Nitot, président de Mozilla Europe, Mozilla a publié une lettre ouverte pour sensibiliser les internautes à l'importance de ce choix.

De son côté, le site slovaque DSL.sk s'est amusé à recharger 10000 fois l'écran de choix et enregistrer l'ordre d'affichage des 5 principaux navigateurs. Bilan : Internet Explorer arriverait plus souvent en dernière place que ses concurrents. Comme on imagine mal Microsoft versé dans l'auto-flagellation, on se gardera d'en tirer une quelconque conclusion.

Paru dans Libération du 24 février 2010 (version longue)

Sur le même sujet :

- Bruxelles à Microsoft : Ouvrez le ballot ! (16/12/2009)

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