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Seppukoo, réseau antisocial

Net. Conçu par un collectif spécialisé dans la parodie, le site propose un suicide virtuel par désabonnement aux utilisateurs de Facebook.
par Marie Lechner
publié le 9 décembre 2009 à 0h00

L’infection a débuté le mois dernier et atteint désormais un stade pandémique. Personne n’est à l’abri. Le virus à la propagation fulgurante vient d’être identifié. Il se nomme Seppukoo et contrairement à son collègue H1N1, il n’affecte que les autoroutes encombrées de l’information et, de manière ciblée, les réseaux sociaux.

Peut-être avez-vous déjà reçu ce message en provenance de l'un de vos nombreux amis Facebook, le plus populaire des réseaux, vous invitant à faire Seppukoo.com. «Plutôt que de tomber dans les mains de leurs ennemis, les samouraïs préféraient mourir dans l'honneur, plongeant leur sabre dans l'abdomen. Le nom de ce suicide rituel japonais est seppuku. De même que le seppuku restaure l'honneur du guerrier, seppukoo.com vous permet de libérer votre corps numérique.» L'ennemi, ici, ce sont les entreprises qui font du profit en connectant les gens tout autour du monde, exploitant et monnayant votre vie privée, vos profils, identités, relations.

Clic fatal. Seppukoo.com se présente comme un service censé vous assister dans le suicide de votre identité virtuelle. «Impressionnez vos amis, déconnectez-vous !» dit le slogan, qui présente ce grand saut comme l'expérience «radicale chic la plus cool» du moment. Il suffit de prendre son courage à une main, saisir la souris, entrer son compte utilisateur Facebook et son mot de passe, avant de commettre le clic fatal qui désactivera votre compte. Et rejoindre le vaste réseau social des suicidés de Facebook.

Ironiquement, le site Seppukoo.com reproduit tous les aspects d'un réseau social qu'il subvertit de manière ludique, en révélant ce qui se cache derrière les interfaces séduisantes et la rhétorique enthousiaste. Il retourne les stratégies du marketing viral «en déconnectant les gens les uns des autres et en transformant l'expérience solitaire du suicide en une excitante expérience sociale». Dans ce nouveau réseau «antisocial», votre popularité ne se comptera plus en nombre d'amis mais en pouvoir d'influence. Plus vous réussirez à convaincre d'amis de vous rejoindre dans ce suicide viral et virtuel, plus vous gagnez de points. Non sans sarcasme, Seppukoo.com invite l'internaute à redécouvrir «l'importance d'être quiconque plutôt que de prétendre être quelqu'un».

Constat amer. «Les réseaux sociaux donnent à chacun la sensation d'être le centre de l'univers, mais à l'évidence, nous sommes juste les pièces dérisoires d'un business-model», indiquent à Libération les Liens invisibles, auteurs de cette parodie. Bien que tous les contenus soient surveillés et filtrés, «les usagers tchatent, parlent, vivent comme s'ils étaient réellement libres».

Ce «groupe artistique imaginaire» est composé de Clemente Pestelli and Gionatan Quintini. Leur objectif : «Démontrer les liens invisibles entre l'infosphère, les synapses neuronales et la vie réelle», expliquent-ils, citant le brûlot l'Insurrection qui vient. «Notre travail s'identifie avec le sentiment qui anime le Comité invisible ; et qu'une grande partie des contre-cultures européennes partage.»

Les Liens invisibles sont passés maîtres dans la manipulation des symboles et de l’imagerie du Web 2.0 détournant des sites populaires comme Flickr ou la plateforme de blogs Word Press. Car le collectif dresse un constat amer, pointant les désillusions du Web 2.0 : la soi-disant participation, la démocratie où on peut s’exprimer à voix égales, les problèmes de données personnelles, le droit à l’oubli…

Le seppukoo est surtout symbolique. Seul le profil sera désactivé. Il reste très difficile de supprimer définitivement son compte sur Facebook. Pas de trace du mode d'emploi dans l'interface de navigation : «Les informations vous concernant ainsi que celles de vos amis seront préservées par les responsables de Facebook pour conserver votre vie virtuelle pour l'éternité.» Et ça ne concerne pas seulement l'utilisateur, relève le collectif. «Facebook contient également des informations sur des tiers qui n'ont jamais souscrit. Ils ont une carte mondiale des connexions entre les gens et nous devrions y prendre garde.»

Et pour ceux qui auraient peur de mourir même virtuellement, Seppukoo se veut rassurant. Pour ressusciter, il suffit de se reloguer. «Parce qu'il n'y a pas de mort où il n'y a pas de vie.»

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