Sirènes hors-champ

A Paris, le duo d'artistes Hehe invite à une réflexion critique sur l'activité policière.
par Marie Lechner
publié le 6 juillet 2009 à 17h18
(mis à jour le 6 juillet 2009 à 17h32)

« En tant qu'étranger, ce qui m'a frappé en m'installant à Paris, ce sont les sirènes de police que l'on entend en permanence » , explique Heiko Hansen, artiste d'origine allemande qui forme avec Helen Evans le duo Hehe. Une sirène «deux tons» obsédante, bruit de fond quotidien des Franciliens, que le duo a décidé de traquer avec son dispositif Siren Shields. Sur les balcons ont fleuri ces derniers mois des boîtiers de vidéosurveillance qui se déclenchent uniquement aux chants des sirènes. Equipé d' un logiciel libre de leur cru développé avec l'aide d'un chercheur de l'Ircam (dont le père est policier), le dispositif analyse le son ambiant en temps réel, et détecte les fréquences d'une sirène, annonçant l'arrivée imminente des forces de l'ordre. Dès lors, les caméras se mettent à enregistrer le ballet des voitures de police.

Ces vidéos de « contre-surveillance » sont présentées à la galerie Ars Longa , à Paris, dont la devanture est elle-même équipée d'un boîtier. « Le pin-pon de la sirène française est très proche de celui de la police allemande , constate Heiko, racontant qu'outre-Rhin les forces de l'ordre avaient tenté d'adopter la sirène « sinusoïdale » américaine, mais ont renoncé devant les quolibets raillant cette « sirène Kojak » stridente, allusion à la série américaine des années 70.

Hehe s'intéresse de près à cette relation que la police entretient avec le cinéma. Les artistes souhaitaient mettre à profit leur dispositif pour générer une sorte de film policier. « Quand le gyrophare s'allume et que la sirène se met à hurler, une chorégraphie se met en place autour de cette voiture qui force sa trajectoire à grande vitesse à travers la ville, tandis que tout se fige autour. » Siren Shields permet de capter ce moment « dramatique » dans la ville, mais également sur les écrans de télé. « Notre logiciel, branché sur la TNT, permet aussi d'enregistrer automatiquement toutes les séquences où l'on entend cette fameuse sirène. » Plus de 200 fichiers ont été récoltés en une seule journée, fragments de séries policières, films, journaux télé, mais aussi extraits déconnectés, comme cet orchestre classique jouant ces deux mêmes notes. Dans la galerie, dont l'entrée est obstruée par un gyrophare géant aveuglant, le visiteur peut mixer ces différents extraits audiovisuels aspirés par le logiciel, et créer son propre clip. L'occasion de prendre la mesure de l'extrême codification du film policier. « L'enjeu du film policier n'est pas uniquement commercial et culturel, il est aussi politique » , note Olivier Philippe, dans la Représentation de la police dans le cinéma ­français 1965-1992 (1).

« L'imaginaire contribue sans doute à ­l'efficacité de la police dans le réel. […] Le rôle des représentations de la police peut largement contribuer à éviter l'usage de la force par l'intériorisation des valeurs de l'ordre. » On pourrait en dire autant des caméras de surveillance. Comme le soulignait le théoricien Konrad Becker, « la sécurité n'est pas seulement technologique, mais une façon de penser intériorisée. Les caméras de surveillance n'ont pas besoin d'être allumées pour exercer leur magie. »

Avec humour, Hehe renverse les rôles, et ­redonne la main au citoyen qui peut à son tour surveiller ceux qui nous contrôlent, traquant l’activité policière et manipulant les images dont il est quotidiennement abreuvé. Comme à son habitude, Hehe ne cherche pas tant à ­dénoncer qu’à attirer l’attention critique du ­public.

C'est le cas de son projet Nuage vert ( Libération du 2 juin) qui, en colorant les émissions s'échappant des cheminées d'usines, veut sensibiliser les gens à la question de la consommation d'énergie, ou aux déchets. Rendre perceptible ce qui ne l'est pas… . ne l'est plus, parce qu'on a fini par s'y habituer.

(1) Editions de l’Harmattan, 2000.

Siren Shields, exposition de Hehe

jusqu’au 18 juillet à Ars Longa,

67 avenue Parmentier, 75011 Paris.

Du mercredi au samedi. Rens.: www.arslonga.fr

Paru dans Libération du 06/07/09

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