Slate, le parti pris de l’analyse

Les sites d’information sur le Net (3/6). Le dernier-né français, Slate, n’a pas pour vocation de faire de l’actualité mais du magazine.
par Frédérique Roussel
publié le 6 avril 2009 à 16h44

L'adresse a beau se situer rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris, les locaux sont modestes. Une grande pièce à l'extrémité d'un étage, avec vue sur une toiture. Genre arrière-cuisine. «Ça a quelque chose d'un garage» , lâche Jean-Marie Colombani, ancien patron du Monde en faisant allusion à Google, la plus grande réussite web des dix dernières années. L'image de deux étudiants de Stanford bidouillant la mécanique algorithmique, devenue l'alpha de la recherche sur Internet, s'impose alors. Penser garage tient du mantra. Le camp de base de Slate France est de toute façon temporaire. Slate cherche d'autres locaux, peut-être avec Youphil (lire ci-contre) et se cherche encore.

«On n'est pas encore né» , aime à dire Johan Hufnagel, l'un des cinq fondateurs du site avec Jean-Marie Colombani, Eric Le Boucher, actuel directeur de la rédaction d' Enjeux les Echos , Eric Leser, ancien chef du service économie du Monde et Jacques Attali. «On a tout notre temps , poursuit l'ancien rédacteur en chef de liberation.fr puis de 20minutes.fr. Pour l'instant, on construit une base.» L'équipe de quatre salariés, légère, doit s'étoffer d'ici septembre sans toutefois dépasser la dizaine de personnes. Slate n'a pas pour vocation de faire de l'actualité mais du magazine. Ses premiers chiffres d'audience, encore très modestes, montrent d'ailleurs une fréquentation plus importante le week-end. Une quarantaine de chroniqueurs ou blogueurs, aux noms parfois connus (François Hollande ou Hubert Védrine), contribuent régulièrement au site. Huit papiers en moyenne sont mis en ligne chaque jour. «L'objectif est de mélanger des articles sérieux et légers, comme de traiter sérieusement de sujets légers» , précise Eric Leser. Pourquoi Jade Goody, qui a médiatisé son cancer, n'est-elle pas allée jusqu'à laisser filmer son dernier souffle ? Nicolas Sarkozy n'est-il pas une sorte de réincarnation du duc de Nemours dans la Princesse de Clèves ? Quid du retour du leadership américain ? Pourquoi le journalisme non lucratif en France est-il une utopie ?…

Slate ambitionne de devenir l'un des principaux lieux d'analyses et de débats du Web français. «La crise de la presse nous aide , souligne Jean-Marie Colombani. Car la partie éditorialisée des journaux tend à se réduire. Après le premier âge du Net qui appelait une consommation de masse, est venu un besoin pour plus de subjectif.»

Lancé officiellement le 10 février, le site n'a pas deux mois. Pas pressé, il compte sur un capital de départ de 3 millions d'euros pour atteindre en 2011 son équilibre et un million de visiteurs uniques par mois. Même si c'est un pure player (un média qui n'existe que sur le Web), il n'est pas non plus né de nulle part. Son étoile du berger se trouve sur la côte est des Etats-Unis. Le grand frère, Slate.com , créé en juin 1996 par Michael Kinsley, affiche aujourd'hui 7 millions de visiteurs uniques et se situe au cinquième rang des sites de presse. Financé pendant huit ans par Microsoft, il s'épanouit depuis décembre 2004 dans le groupe Washington Post. Il s'est même transformé en petit groupe à lui tout seul avec trois satellites thématiques, relève Eric Leser, longtemps correspondant du Monde à New York et qui a porté le projet de déclinaison frenchie pendant plus d'un an. La version sauce française appartient à 15 % à la marque américaine. Le reste de l'actionnariat se partage entre les fondateurs (à 50 %) et 35 % à un fonds d'investissement.

Encore en phase de rodage, donc, Slate.fr s’étoffe petit à petit. Des blogs à plume (signés Frédéric Fillioux, Eric Le Boucher et Jean-Marie Colombani) vont ouvrir dans les jours à venir. Une newsletter est en préparation. La nouvelle page d’accueil propose depuis peu, en partenariat avec l’agence Magnum, un diaporama dont le dernier mis en ligne permet de feuilleter une vingtaine de photos des manifestations du G20. Un accord similaire est prévu avec Reuters. Outre les recettes publicitaires, le site compte sur la revente de contenu. Un accord d’un an a été signé avec l’opérateur Orange. Depuis le 23 mars, du lundi au jeudi, une analyse sur l’économie signée Slate est réalisée en exclusivité pour l’opérateur, à laquelle viendra s’ajouter une analyse plus générale le vendredi et une chronique «Futurs» le week-end. L’équipe travaille également sur un projet d’un best of de vidéos, une sélection du meilleur du Web en la matière. Comme sur les autres sites d’information nés depuis deux ans, on soigne ses internautes. Les commentaires sont modérés, et parfois rééditorialisés. Les idées ne manquent pas pour aller chercher l’audience francophone. Mordra-t-elle ?

Paru dans Libération du 6 avril 2009

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus