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Libération

Ça sent le roussi pour Downing Street

The murdogatedossier
par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 15 mai 2012 à 12h47

Elle est entrée, sa somptueuse chevelure rousse flottant libre sur ses épaules, maquillage à peine visible et l'air presque intimidé, en tout cas modeste, dans sa jolie robe style Chanel, bleu marine avec son col Claudine et ses revers de manche blancs. Soudain, la température est montée d'un cran dans l'impersonnelle salle 73 de la Royal Courts of Justice, en plein cœur de Londres. Rebekah Brooks, ancienne directrice générale de News International, la branche britannique du groupe de médias de Rupert Murdoch, et Andy Coulson, ancien rédacteur en chef de News of the World , puis directeur de la communication du Premier ministre conservateur, David Cameron, ont inauguré en fin de semaine dernière l'ouverture du troisième volet de l'enquête Leveson.

Lancée en juillet à la suite du scandale sur les écoutes téléphoniques illégales pratiquées par les tabloïds News of the World (retiré de la circulation en juillet après cent soixante-huit ans d'existence) et le Sun , deux des fleurons de l'empire Murdoch, l'enquête entre dans sa dernière phase, probablement la plus délicate. Après les relations entre la presse et le public, puis la presse et la police, le juge Leveson se penche désormais sur les rapports entretenus entre la presse et le monde politique britanniques. Ce volet devrait durer jusqu'à la fin du mois de juin, avant que l'enquête ne se conclue par une série de recommandations sur la façon d'améliorer l'éthique de la presse britannique, tout en respectant sa liberté.

Nul doute que, parallèlement à la salle 73 et au témoignage de Rebekah Brooks, le thermomètre se soit affolé dans les couloirs du 10, Downing Street, la résidence du Premier ministre, David Cameron. Alors que ce dernier devrait lui-même témoigner dans les prochaines semaines - tout comme les anciens Premiers ministres travaillistes Tony Blair et Gordon Brown -, les déclarations de Rebekah Brooks et d’Andy Coulson, qui ont tous deux démissionné de leurs postes et sont sous la menace d’une inculpation, se sont révélées plus que gênantes. Et pourraient avoir de lourdes implications politiques.

Au détour d'un interrogatoire serré, Brooks, tour à tour charmeuse ou pinçante, a reconnu avoir évoqué lors d'un dîner avec le ministre des Finances, George Osborne, la tentative de rachat de 59% des parts du bouquet satellitaire BskyB par le groupe Murdoch. Comme elle a révélé que Frederic Michel, le lobbyiste en chef de News International, lui avait adressé un mail expliquant que le ministre de la Culture, Jeremy Hunt, chargé de donner son aval ou non dans le dossier BskyB, avait demandé «conseil à News International sur la manière d'agir concernant le dossier des écoutes illégales» pour lui-même mais aussi pour le 10, Downing Street. Le maintien de Jeremy Hunt à son poste, déjà compromis depuis quelques semaines, apparaît désormais peu probable.

De la même manière, Coulson, qui dirigeait News of the World au moment où les écoutes illégales battaient leur plein, a expliqué que Cameron ne lui avait demandé qu'une fois s'il était vrai, comme il l'affirme, qu'il n'avait jamais rien su de ces écoutes. Et c'est sur la foi de sa seule parole qu'Andy Coulson avait obtenu le poste de directeur de la communication et les autorisations adéquates lui permettant d'assister à des réunions concernant des sujets «de haute sécurité» .

Mais, en dépit de ces révélations, en dépit des dizaines de déjeuners en tête-à-tête, de dîners familiaux, de fêtes d'anniversaire et autres occasions sociales partagées avec des politiques de tous bords -- les Blair, les Brown, les Cameron, les Osborne, qu'elle qualifie d' «amis» ou de «proches» --, Rebekah Brooks estime n'avoir «jamais compromis [sa] position de journaliste en entretenant des relations amicales avec un politicien, ni connu aucun politicien qui ait compromis sa position» .

À 44 ans, Brooks est une vieille routarde des «gros titres», après un parcours fulgurant au sein de News of the World , puis du Sun , avant de se retrouver, jusqu'à sa démission en juillet, à la tête de tout le groupe, qui compte aussi le Times et le Sunday Times . Et elle sait parfaitement quelle information lâcher pour avoir les titres de la presse du lendemain. Elle a ainsi raconté que le Premier ministre signait les SMS qu'il lui envoyait «LOL» , accompagné des initiales DC, pour David Cameron. «Enfin il signait ça en pensant que ça voulait dire lots of love, jusqu'à ce que je lui explique qu'en fait c'était laughing out loud ["mort de rire"]» , a-t-elle expliqué ingénument au procureur Robert Jay. Lequel, une fois n'est pas coutume, en est resté sans voix.

Paru dans Libération du 14 mai 2012

Mise à jour du mardi 15 mai :

Rebekah Brooks et cinq autres personnes, dont son mari, ont été inculpées mardi dans le cadre du scandale des écoutes téléphoniques, a annoncé le parquet. Dans un communiqué publié quelques minutes avant l'annonce officielle de leur inculpation, Mme Brooks et son mari Charlie ont «déploré cette décision injuste et qui repose sur de faibles bases» .

Les six personnes ont été inculpées pour «entrave au cours de la justice», a annoncé Alison Levitt, représentante du parquet. Parmi les autres personnes figurent l'assistante personnelle de Rebekah Brooks, Cheryl Carter ; le responsable de la sécurité à News International, Mark Hanna ; le chauffeur de Rebekah Brooks, Paul Edwards, qui était employé par News International ; ainsi que Daryl Jorsling, chargé de la sécurité de Mme Brooks.

(AFP)

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De notre correspondante à Londres

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