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Libération

Free dans la ligne de mire des opérateurs mobiles

par Catherine Maussion
publié le 1er septembre 2011 à 11h34

De la voix en illimité, des SMS et des MMS à foison, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et vers tous les opérateurs pour 24,90 euros par mois. Le tout, avec zéro engagement ! Non, ce n’est pas Free mais Bouygues Telecom, un des trois opérateurs majeurs du mobile qui se déshabille. Ou plus exactement, et la nuance est importante, B & You, une marque créée par lui pour l’occasion. Un scud balancé dans les pattes de Free, à quelques mois (voire quelques semaines selon la rumeur) du lancement de ses offres mobiles, promises au plus tard pour Noël 2011.

Le 6 septembre, Orange va dégainer sa riposte : Sosh, quatre lettres pour une marque low-cost ciblant les «digital natives» - la génération Net - comme l'a confié son patron, Stéphane Richard. Virgin suivra le lendemain. Jusqu'à présent, l'offensive s'était surtout manifestée du côté des MVNO , ces petits opérateurs virtuels qui louent le réseau des trois grands. En février, Prixtel tenait ainsi la corde, selon le comparatif établi par le site Meilleurmobile, avec son forfait voix illimité à 49,99 euros par mois. On mesure mieux la chute vertigineuse des tarifs cet automne.

Et si Free mobile divisait vraiment les prix par deux ? C'était la promesse, en forme de provocation, de Xavier Niel, le patron fondateur de Free, lorqu'il s'était porté candidat à la quatrième licence 3G, à l'automne 2008 : «Réduire de 1 000 euros par an la facture d'un foyer ayant trois forfaits.» A l'instar de Benjamin Rousseau, analyste chez CM CIC Securities, les observateurs prennent au mot la réclame.

Et d'imaginer sérieusement la sortie d'une offre Free mobile, voix et data illimitée (ou quasi) à 30 euros par mois. Et une part de marché du nouveau venu propulsée à 10 % d'ici 2015. L'agitateur Free fait trembler ainsi sur ses bases le trio des opérateurs (Bouygues, SFR et Orange). Mais leurs marges, note l'analyste, se situent à un niveau si confortable (entre 26 % de marge d'exploitation pour Bouygues et 36 % pour Orange et SFR) et «leur capacité de résistance» est telle, qu'elles devraient digérer sans trop de peine l'irruption du trublion. La rentrée d'automne du mobile en quatre tendances.

L’offre communautaire

Des offres low-cost disponibles sur le Net diffusées via les réseaux sociaux.

Faites le test. Poussez la porte d'une boutique de Bouygues et dites que vous voulez du B & You. Au mieux, on vous dirige vers le Net. Au pire, on vous répond «connais pas» . Les vendeurs ont reçu des instructions pour retenir les clients de migrer vers B & You, confie le site Univers Freebox qui a mis en ligne les consignes données aux commerciaux des boutiques.

Les offres à prix canon s'achètent sur le Net. Et les conseils s'obtiennent sur les forums. Le service client par téléphone est aux abonnés absents. La nouveauté, c'est l'intrusion du communautaire. B & You se conjugue avec Facebook, Twitter et les réseaux sociaux. «Avec B & You, Bouygues Telecom cible les Freenautes [abonnés de Free, ndlr], ces gens attirés par l'innovation, et très autonomes» , note Stéphane Dubreuil, consultant chez Sia Conseil. C'est là le secret de ces offres low-cost. Elles font l'économie des plateformes d'appel, un poste de coût important, surtout depuis que l'appel ne peut plus être facturé à l'abonné. L'économie aussi des campagnes de pub : le bouche à oreille se fait sur Internet. Jusqu'au service marketing de B & You qui est réduit à sa plus simple expression : «Notre offre, nous la faisons évoluer en écoutant nos clients !» dit-on chez Bouygues. Vrai ! Au début, B & You ne proposait à côté du forfait illimité (voix, SMS, MMS à 24,90 euros) qu'un second forfait (à 36,90 euros) avec 500 Mo de data pour aller sur Internet. Tout mégaoctet consommé en sus était facturé 5 centimes d'euros.

Pas cool, ont jugé les premiers abonnés sur les forums. D'où la correction : le débit sera juste bridé lorsque le quota sera dépassé et deux niveaux sont proposés : 34,90 euros pour 500 Mo et 39,90 euros pour 1 Go. Imbattable. Sosh est sur la même ligne. Même si Stéphane Richard cible plutôt les mobinautes, gros consommateurs de connexion internet, que les adeptes de la voix. Hier, Sosh, qui s'agite lui aussi sur Facebook et sur Twitter, comptait déjà, sans bouger le petit doigt, 509 followers. «Rejoignez la mobile Soshiety» , invite sans rire le site…

Le forfait séparé du téléphone

Des mobiles à prix coûtant et qui peuvent être vendus à crédit ou bien loués.

Tout le monde y vient. Dernier en date : SFR. Ses formules dites «Carré», sorties au printemps, sont toutes proposées avec ou sans téléphone, assorties, dans ce cas, de rabais. «Ce n'est pas seulement une guerre des prix, note Gregory Coillot, directeur marketing de The Phone House. Nous assistons à la fin de la subvention du mobile.»

Le mouvement a décollé en janvier ; les opérateurs de réseau mobile virtuel (MVNO) ont montré la voie. La Poste Mobile, lancé en mai , a même fait sa pub dessus. Et maintenant, B & You pousse l'exercice à l'extrême. Exit, les formules avec un téléphone à prix cassé, mais aussi le fil à la patte pour douze ou vingt-quatre mois.

Chez B & You, si l'on veut un smartphone, on l'achète à part sur le site, et il est facturé «au prix de revient» , dixit Bouygues : 603 euros pour l'iPhone 4 (16 Go), ou 509 euros le Samsung Galaxy S2… Ce qui fait dire à Gregory Coillot que le forfait sans mobile a une limite, la capacité financière de ses clients : «Au bout de six mois, des clients qui ont envie de changer de téléphone devront le payer cash.» Et de prédire une suite pas folichonne : «Le mobile va bientôt s'acheter à crédit.» Avec l'irruption d'offres de financement du téléphone, voire des crédits-bails sur un ou deux ans…

En Grande-Bretagne comme en Suède, où The Phone House a des boutiques et où le mobile est peu subventionné, «on revient vers des offres couplées».

Chez Zéro Forfait, autre opérateurs de réseau mobile virtuel qui bannit aussi les offres couplées, on a trouvé la solution : la location du téléphone. Comptez 5 euros par mois pour un Samsung Galaxy mini.Qui dit sans mobile dit aussi sans engagement. Une tendance qu'ont bien intégré les nouvelles offres. A quelques mois de l'arrivée de Free, le mot d'ordre chez l'abonné futé est «restons mobile» , pour pas rater l'occase.

La poussée de l’illimité

Après le SMS et les MMS, la voix suit le même chemin.

On appelle cela les offres «d'abondance» . En période de vaches maigres et de budgets contraints, pouvoir se lâcher sur son mobile sans risquer la syncope à la vue de la facture est assurément tendance. Pour les SMS ou les MMS, cela devient la norme. Pour la data (Internet) sur le mobile, le débit est certes réduit, au-delà d'un certain volume (500 Mo, 1 Go ou 2 Go), mais pas de mauvaise surprise non plus. D'ailleurs, l'opérateur low-cost B & You (lire ci-contre) a renoncé très vite à la facturation des dépassements. La voix suit le même chemin.

«On a pensé un temps que le SMS allait cannibaliser la voix» , rappelle Stéphane Dubreuil, chez Sia Conseil. Mais non, elle se banalise. Un MVNO comme NRJ, emboîtant le pas à Prixtel propose un tout illimité, Web compris, à 51 euros par mois [sans mobile mais avec un engagement de douze mois, ndlr]. Et surtout «les gens ont de plus en plus de mal à payer cher la voix sur le mobile» , alors qu'elle est gratuite depuis les boxes vers les fixes et depuis peu vers les mobiles… Tant et si bien que la voix en illimité sur le mobile «va devenir elle aussi un standard» , prédit Dubreuil. Certains disent que le rêve secret de Niel [le patron d'Iliad, la maison mère de Free, ndlr], «c'est mettre dans sa future offre mobile, la voix à 10 euros en illimité» . «Ce n'est pas pour rien que Free a conçu son réseau mobile en tout IP [Internet protocol]» , conclut Dubreuil. La bonne façon de faire passer la voix à moindre coût.

La vogue du quadruple-play

Le mobile est ajouté au fixe, à Internet et à la télévision.

Bouygues a lancé le mouvement. Débarquant tard (fin 2008) sur le marché de l’Internet fixe avec son triple- play et sa «BBox», il y greffe rapidement son offre mobile et baptise le tout Ideo. Cela s’appelle le quadruple-play : la tenue complète du branché numérique dans la même maison. Le pack s’achète avec un bon discount. Succès garanti. Ce matin, Bouygues Telecom devrait annoncer plus d’un million d’abonnés à sa box (fin juin), et confirmer son rang de premier recruteur d’internautes.

SFR et Orange lui ont assez vite emboîté le pas, et c'est le tour des MVNO aujourd'hui. Après Prixtel en mars et Numericable en mai , c'est Darty qui se met au quadruple-play. Virgin, le leader des MVNO (deux millions d'abonnés), promet la sienne début 2012. Jusqu'à la Poste Mobile , qui louche sur le produit. A croire qu'il n'y a plus de salut sans le «bundle» (le pack). Tout ce petit monde se protège en fait de l'irruption prochaine de Free. En plaçant du quadruple-play, les opérateurs «verrouillent» plus efficacement leurs abonnés, ont noté les analystes du secteur. La même tactique est attendue de Free. Et Sia Conseil de prédire : «Il ne va pas se priver d'utiliser son fichier pour recruter pour le mobile.»

Paru dans Libération le mercredi 31 août 2011.

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