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Libération

Gloss est un Chat (S01E08)

Toutes les deux semaines, retrouvez sur Ecrans.fr les maraboudficelles de Miss Gloss.
par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 2 février 2011 à 18h42
(mis à jour le 26 mars 2011 à 21h03)

P reviously, on Miss Gloss

Il est des questions que vous êtes en droit de vous poser. Parmi celles-ci: Pourquoi léguer trois millions de dollars de fonds de pension à son chihuahua? Pourquoi le retour du heavy metal ( Judas Priest , Alice Cooper , Saxon , etc.) sur scène trente ans plus tard? Pourquoi se faire tatouer un like Facebook?

La fille peut avoir 30 ans , une Asiatique qu'on vous a fichue dans les pattes pour un poste précaire à pourvoir rapidement. Dans votre formidable boîte de com underground, tout le monde fait de tout. Surtout vous, songez-vous en fronçant les sourcils avec un air inspiré devant le book ouvert face à vous deux. D'une voix aiguë, Lin (ou Lan, un truc dans le genre) commente maintenant les travaux qu'elle fait défiler sur son iPad, et les questions hors sujet continuent de faire un chapelet dans votre tête: le fait d'avoir hurlé de rire aux petites phrases qui ornent les packagings Monoprix fait-il de vous une saloperie de bobo? Pourquoi le terme bobo est-il vécu comme une insulte? Est-on forcément le bobo d'un autre -- ce qui serait une manière d'être con?

«Vous ne croyez pas?» , demande la fille. Vous n'avez pas saisi le début, vous dites si, si, par réflexe. Et vous voici agacé. Agacé de ce rôle que vous fait tenir le responsable des ressources humaines «en rendez-vous extérieur» ; agacé par cette intello-artiste, ex-Beaux-Arts, ex-presse jeunesse, si enthousiaste, si souriante. L'hiver n'en finit plus de finir, et chaque jour vous faites un peu plus la gueule. Vous détestez la bonne humeur. Vous détestez le temps qui passe. Vous détestez votre job de directeur artistique so tendance. Comme Mathieu, dans les Chemins de la liberté , (eh, celui de Sartre), puisque vous n'êtes pas amoureux, vous vous voudriez engagé pour une cause. Noble, Tunisien, Egyptien.

«Voilà ce qu'on va faire , dites-vous pour arrêter le supplice. Vous allez rentrer chez vous et on vous rappelle ASAP» . La fille vous regarde, deux pastilles noires, brillantes: «Vous ne pensez pas me faire travailler demain?» Ce n'est pas vraiment une question, plutôt l'expression d'un soulagement, la volonté d'une confirmation. Elle ajoute, timidement: «C'est le nouvel an, vous savez. L'année du chat ». Ses doigts jouent avec un pendentif de jade. Sa gorge, d'une blancheur de soleil d'hiver, se soulève comme elle esquisse un sourire. «Chaque année, c'est pareil. J'essaie de ne pas travailler, d'être en famille, trois jours de fête. C'est pas toujours possible, bien sûr» . Vous êtes soudain à 10000 kilomètres de votre bureau, dans une gargotte assis sur un siège de plastique, à ras de terre, une rue de Hanoi ou de Phnom Penh grouillant derrière vous. Des parfums de soupe pho se mêlent à ceux d'herbes fraîchement coupées: coriandre, basilic chinois, menthe. «Mais quand c'est possible, alors nous nous retrouvons tous, chez ma grand-mère. Je prépare un gâteau panda pour les enfants, et des fortune cookies, vous savez, avec les petits messages que j'écris à l'avance» . Elle sourit, tout son visage sourit. «Je vous en apporterai si vous voulez» .

Il est des questions que vous êtes en droit de vous poser. Parmi celles-ci: Pourquoi le quotidien serait-il forcément un calvaire? Pourquoi le vent d'Orient ne vous serait-il pas favorable? Vous souriez devant la photo rieuse, en haut du CV. Et pourquoi ne pas directement enregistrer ce numéro de téléphone dans votre smartphone?

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