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Libération

Economie zombie : confessions d'un co-producteur de «La Horde»

par Alexandre Hervaud
publié le 10 février 2010 à 13h52
(mis à jour le 10 février 2010 à 15h57)

Aujourd'hui sort enfin en salles La Horde , le premier long-métrage de Yannick Dahan et Benjamin Rocher, avec flics vengeurs, truands violents et zombies affamés dedans. Dire qu'on attendait la chose de pied ferme relève de l'euphémisme, et ce pour plusieurs raisons. Fin 2008, l'équipe d'Ecrans.fr avait frôlé la participation zombiesque en tant que figurants morts vivants. L'équipe du film avait en effet appelé à la rescousse les geeks volontaires (et bénévoles) via Myspace pour grossir les rangs de la fameuse horde, notamment lors des scènes (impressionnantes) d'attaques en bande. Hélas ! Soucis d'agenda, d'organisation, et patatras, vos serviteurs ratèrent le coche et leurs bobines n'apparaîtront pas à l'écran. Qu'à cela ne tienne, puisque quelques mois plus tard, en mars 2009, on apprenait que La Horde n'avait pas seulement besoin des tronches maquillées des fans, mais également de leurs sous. Grâce à un partenariat avec la plateforme Motion Sponsor , équivalent ciné de MyMajorCompany, les aficionados étaient ainsi invités à faire des dons pour participer en tant que «co-producteurs» au film :

Qui aurait pu résister à un tel cri du coeur des deux réalisateurs ? Pas nous. En tout cas, pas l'auteur de ces lignes, qui devint dès lors «co-producteur», à hauteur de 25 euros, du métrage. Autant dire qu'à ce stade, le présent article ne verse pas dans le copinage mais carrément dans le conflit d'intérêt, chaque co-producteur ayant plutôt intérêt à ce qu'un maximum de spectateurs aillent voir le film pour espérer récupérer sa mise et faire des bénéfices. On va toutefois tâcher d'être franc du collier et d'évoquer au mieux cette expérience plus proche du mécénat que de la coproduction pure et dure.

Soyons logique et commençons par la fin. Combien le film a-t-il récolté via Motion Sponsor ? 47 000 euros, pour un objectif de 150000 . Déception ? «Non, c'était juste un objectif, et de toute façon, le besoin réel de l'équipe, lâchée par un prestataire, était de 32000 euros pour boucler ses effets spéciaux» , nous explique Rafik Benhammou, PDG et fondateur du site. Au final, 470 fans ont participé, ce qui fait donc une moyenne de 100 euros versés par internaute (et donne à votre serviteur l'air d'un sacré radin). L'explication : «une dizaines d'internautes ont choisi de donner le maximum, à savoir 1500 euros. On a même rencontré un comédien français qui croyait beaucoup au projet, et qui souhaitait investir de sa poche 150000 euros. On a refusé, parce qu'on préfère que 150000 internautes filent un euro, plutôt qu'un seul la somme totale» .

Une déclaration qui peut paraître insensée mais qui trouve sa logique dans le fonctionnement même d'une telle stratégie. Au delà de boucler un budget chétif (2 millions au total pour La Horde ), l'objectif de telles opérations est de fédérer une communauté de fans prêts à monter au créneau pour défendre leur «bébé», devenant ainsi de véritables attachés de presse miniatures pour faire monter le buzz par tous les moyens. Et ça marche : «un co-producteur a appelé son journal local pour parler de son expérience avec La Horde, et il a réussi à obtenir un article », déclare Benahmmou. Seulement voilà, à part la bonne conscience du fanboy méritant, que peut-on gagner en participant à ce genre d'initiatives ? Quelques babioles honorifiques (le nom crédité dans l'édition DVD), des aperçus du making of en exclu ponctuellement mis en ligne sur un espace du site réservé aux coproducteurs, des places à gagner pour voir le film (on pourrait croire qu'elles soient délivrées à tous et automatiquement, mais en fait non), et surtout, un potentiel retour sur investissement. «Si le film fait 400000 entrées en France, ça pourra devenir intéressant» , prévient Benhammou, qui précise également que les co-producteurs bénéficieront également des résultats de l'exploitation à l'étranger (40 pays ont acheté le film), des droits TV, des ventes DVD, etc.

DR

Dans ces conditions, le coproducteur écrivant ces lignes serait tenté de vous supplier d'aller voir le film illico presto (projeté dans plus de 100 salles) pour arrondir ses fins de mois à venir. Le journaliste, par contre, est beaucoup plus réservé. Début janvier, le film était projeté aux figurants zombies, à la presse et aux co-producteurs du film (du moins ceux pouvant se rendre à une projection parisienne matinale en semaine...). Et malgré quelques gros râles de plaisirs entendus ci et là, la déception était globalement partagée. Efficace dans ses scènes d'action, le film pèchait (beaucoup) par ses dialogues hasardeux et des comédiens en roue libre. Résultat des courses : le film a depuis été remonté, les dix premières minutes du film coupées, et l'action serait devenue plus fluide (on n'a pas encore vu le montage définitif). Autant dire que si on est heureusement loin d'une purge façon Baltringue , la claque annoncée n'est pas au rendez-vous

Au delà de ce bilan critique mitigé, celui de la coproduction doit être nuancé. Premier projet de Motion Sponsor, dont une nouvelle version est attendue d'ici la fin du mois, La Horde a un peu essuyé les plâtres. L'accord entre la production et le site a été signé durant le tournage, et les réalisateurs, sans doute occupés par la post-prod, n'ont pas vraiment joué le jeu de la collaboration avec les internautes (les «rendez-vous avec l'équipe» promis lors de l'inscription n'ont jamais eu lieu). Soyons clair, d'une manière générale, l'interaction entre internaute et production s'est avérée inexistante. «C'est une conséquence de notre arrivée tardive dans le projet, et la nouvelle version du site permettra une plus grande intéractivité» , promet Rafik Benhammou, qui annonce l'arrivée prochaine sur Motion Sponsor d'un «OVNI espagnol » à coproduire. Pour conclure sur La Horde , projet fou mi-bad ass, mi-fadasse, on vous laissera juger sur pièce de ses qualités et défauts, assez bien retranscris par sa bande-annonce :

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