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Libération

La Libye est déconnectée du Net

par Camille Gévaudan
publié le 4 mars 2011 à 15h39
(mis à jour le 7 mars 2011 à 12h05)

Aux mêmes maux, les mêmes armes. Un mois après son voisin égyptien , la Libye semble avoir baissé le gros interrupteur du réseau Internet. Toute forme de communication, toute circulation de données en ligne a purement et simplement été coupée hier soir. «Nous nous demandions si quelqu'un oserait imiter la stratégie égyptienne» , écrit la société Renesys, spécialiste des réseaux, sur son blog . «Ce soir, nous avons la réponse.»

L'accès au réseau était déjà perturbé depuis plusieurs semaines, notamment la nuit, mais c'est la première fois qu'une mesure aussi radicale est observée en Libye. «Notre dernière communication avec le réseau libyen a eu lieu hier, peu après 16h35 heure universelle» , constate Renesys. «C'est le silence radio depuis lors.» Même son de cloche du côté de Google, qui publie en temps réel le nombre de visites enregistrées par ses différents sites et services. Depuis hier à 17 heures, tous les électro-internetogrammes sont plats. Les Libyens ne peuvent plus se connecter depuis l'intérieur du pays, et les internautes étrangers ne peuvent plus accéder aux sites hébergés en Libye.

C'est le système de noms de domaine (DNS) qui est affecté, empêchant l'accès à de nombreux sites finissant par l'extension «.ly». Mais certains, à portée internationale, restent toutefois accessibles. Le PDG du raccourcisseur de liens Bit.ly, John Borthwick, explique ainsi que deux des cinq serveurs pour l'extension «.ly» sont situés dans l'Oregon (État-Unis), un autre aux Pays-Bas et les deux derniers seulement en Libye.

Le pays communique plutôt par téléphone portable -- «en 2008 , comme l'explique l'Open Net Initiative, la Libye a été le premier pays africain à atteindre 100% de taux de pénétration des mobiles» -- et l'Internet fixe est encore très peu utilisé. Seuls 350000 habitants se connectent à domicile ou au travail sur une population totale de 6,5 millions de personnes, soit un taux de pénétration de 5,5 %. Et rien n'est plus facile que de déconnecter cette base restreinte d'internautes : le patron du seul fournisseur d'accès à Internet ( Libya Telecom and Technology ), par ailleurs président de l'organisme libyen des télécommunications, n'est autre que que Mohammed Kadhafi, le fils et successeur désigné du dictateur.

Les analystes de Renesys avaient déjà observé des coupures partielles au cours du mois de février. La toute première a eu lieu vendredi 18 février à 23h18, et fut rétablie le lendemain matin. Mais ce que Renesys prenait pour un incident ponctuel, voire un test technique en vue d'un blocage plus conséquent, s'est répété 24 heures plus tard. Arbor Networks a observé les mêmes interruptions nocturnes en effectuant des tests depuis une centaine de fournisseurs d'accès à Internet différents à travers le monde. Les jours suivants ont été perturbés, avec des volumes de trafic en ligne entre 60 et 80% de leur valeur habituelle. La capitale Tripoli, restée sous le contrôle de Kadhafi, était la plus sévèrement censurée avec un blocage des réseaux sociaux les plus populaires tels que Facebook, Twitter et YouTube. À l'Est du pays, en revanche, la situation s'est peu à peu améliorée. Arbor Networks indiquait le 28 février que la connectivité remontait fortement à Benghazi, l'une des villes aux mains des opposants.

Depuis les premières perturbations du réseau, les internautes libyens avaient commencé à s'organiser pour contourner les filtres. Ainsi Ahmed Sanalla, un étudiant en médecine de 26 ans, expliquait au journal émirati The National avoir «mis en place un système de communications par Skype via un satellite» , pour permettre à ses collègues et lui-même de rester en contact avec le reste du monde.

«On n'est pas sûrs de comprendre en quoi couper Internet se révèlerait pertinent d'un point de vue stratégique , note Renesys. Tout ce qu'ils vont réussir à faire, c'est attirer l'attention sur l'incapacité du gouvernement à contrôler les flux d'information.»

Sur le même sujet :

- Bahreïn renforce son filtrage d'Internet (18/2/2011)

- L'Égypte, un pays entier déconnecté du Net (28/1/2011)

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