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Libération

La copie privée difficile à corriger

par Camille Gévaudan
publié le 22 novembre 2011 à 17h35

Demain matin, l'Assemblée nationale examinera un nouveau projet de loi visant à réformer le régime de la copie privée. Les discussions préalables entre ayants droit, députés et fabricants de matériel informatiques sont déjà houleuses ; les débats parlementaires risquent de l'être bien plus encore... D'autant plus que le texte passera en procédure accélérée, et fera donc un seul passage devant chaque chambre. L'UFC Que Choisir et les syndicats de fabricants accusent le gouvernement de vouloir voter une rustine plutôt qu'une véritable réforme, destinée à contenter les ayants droit en «sanctuarisant des recettes sans rapport avec le réel manque à gagner» .

Mais d'abord, pourquoi tant d'empressement ? Modernisé à plusieurs reprises, le système français de rémunération de la copie privée date au départ de la loi Lang, votée en 1985. Autant dire que les supports et les usages ont bien évolué depuis cette époque quasi moyen-âgeuse ! Le passage de l'analogique au numérique a facilité et démocratisé le processus de duplication d'œuvres culturelles. Les consommateurs ont troqué leurs disquettes 3 pouces et demi contre des CD-Rom, laissé tomber les VHS pour graver des DVD, découvert les clés USB et les disques durs externes, puis les lecteurs MP3, les smartphones, et très récemment, les tablettes tactiles. Tous ces supports ont été progressivement assujettis à la taxe pour la copie privée par diverses rustines législatives, mais aucune grande réforme n'avait encore été entreprise.

Une refonte complète du système est notamment réclamée par le Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques (Simavelec) depuis 2008 . Elle avait alors été inscrite dans le « Plan numérique 2012 » préparé par le secrétaire d'État à l'Économie numérique, Éric Besson, mais laissée en plan durant de nombreux mois. C'est après la censure du Conseil d'Etat et sous la pression de la Cour de Justice, qui estiment nécessaire d'exonérer de taxe les entreprises et professionnels, que le dossier est reparti.

Le texte a finalement été présenté le mois dernier par le ministre de la Culture. Plusieurs acteurs dénoncent le choix de la procédure d'urgence -- les plus virulents d'entre eux étant les députés Jean-Dionis du Séjour (NC) et Lionel Tardy (UMP), qui accusent le gouvernement de vouloir «éteindre le contentieux» en limitant la réflexion de fond. De son côté, Frédéric Mitterrand se dit conscient que «nous sommes en train de mettre un pansement sur une blessure et que la véritable guérison interviendra au fil d'un travail législatif.»

Le projet de loi prévoit désormais que les professionnels utilisant les CD, DVD et disques durs pour les besoins de leur activité puissent être remboursés s'ils en font la demande. Mais l'UFC Que Choisir et les fabricants de matériel estiment que cela n'est pas suffisant, d'autant plus que le bon déroulement des procédures de remboursement déjà lancées est sérieusement compromis par le projet de loi. «Les ayants droit ont obtenu du gouvernement un projet de loi qui va permettre, s'il est adopté, de contourner les récentes décisions du Conseil d'Etat et de la Cour de Justice de l'Union européenne» , estiment donc les mécontents. Ils ont lancé une plateforme, Chère copie privée , pour lister leurs griefs et inciter les internautes à contacter leur député avant l'examen du texte.

Plus grave encore, les membres de la plateforme accusent l'actuelle rémunération pour copie privée d'aller au-delà de la simple «compensation équitable "regardée comme la contrepartie du préjudice subi par l'auteur"» de l'œuvre : «la redevance pour copie privée peut représenter jusqu'à 8 fois le prix réel d'un DVD vierge !» Dans ces conditions, ils estiment que «le système conduit à une explosion des prix des produits vendus sur le territoire français, ce qui pénalise l'accès aux nouvelles technologies comme le développement de nouveaux usages.»

Le site propose d'ailleurs une calculette interactive, pour permettre à l'internaute de calculer sa «contribution pour avoir le droit de copier» selon le nombre de supports vierges qu'il possède et leur capacité. Les membres de la plateforme proposent «une refonte de la méthodologie utilisée pour calculer cette rémunération, (...) confiée à un organisme compétent et indépendant.»

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