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Libération

Les belles idées du jeu indé

A côté des grosses productions, des créations mêlent l’art au ludique.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 1er juin 2008 à 11h39

Il n'y a pas que GTA 4 et Mario dans la vie (du jeu vidéo) ! Si les jeux sur console des gros éditeurs occupent le marché et la couverture médiatique, on voit fleurir sur Internet de nombreuses créations indépendantes. Des jeux expérimentaux, à jouer en ligne ou à télécharger, qui explorent l'expérience ludique par une approche artistique, contemplative, voire philosophique. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'est intensifié ces dernières années. «Les gens sont de moins en moins satisfaits des jeux proposés par l'industrie et vont chercher ailleurs , expliquent à Libération Damien Di Fede et Heather Kelley, du collectif montréalais Kokoromi . De plus, la croissance du nombre et de la qualité des logiciels disponibles gratuitement ou à très faible coût permet à des particuliers ou à des petites équipes de réaliser de bons jeux indépendants, dont beaucoup explorent un gameplay ou des sujets peu couverts par les jeux commerciaux.»

Les quatre développeurs de Kokoromi partagent leur temps entre petits projets (le très remarqué Fez) et grosses machineries. «Je m'intéresse au game design expérimental et non traditionnel qui casse le moule de l'attendu et atteint de nouveaux publics sans pour autant sacrifier la qualité» , raconte Kelley. En 2006, ils ont créé Gamma, un concours de création indépendante autour d'une thématique chaque fois renouvelée. Lors de la dernière édition , la principale règle stipulait l'utilisation d'une résolution graphique limitée (256x256 pixels).

Parmi les jeux présentés, Passage , une œuvre atypique autour de la mort de l'artiste et programmeur américain Jason Rohrer . Avec Gravitation , récemment mis en ligne, ils poursuivent leur travail sur les «artgames» , ou comment réaliser une œuvre d'art, et donc «exprimer quelque chose» , en utilisant le medium du jeu vidéo. Même démarche artistique et autobiographique chez Rod Humble , par ailleurs responsable des Sims chez Electronic Arts. Avec The Marriage et Stars over Half Moon Bay , il fait dans la métaphore et propose deux œuvres, au graphisme minimaliste et gameplay ultralimité, basées sur son expérience personnelle de la vie.

«Rejeter des options dès le début du processus créatif peut énormément aider à donner au produit final une concentration et une énergie» , estime Kokoromi. La contrainte, moteur de l'expérimentation ? L'idée plaît. En 2005, dans le cadre de leurs études, quatre jeunes de Pittsburgh lancent The Experimental Gameplay Project afin «de recenser le plus grand nombre possible de gameplays» . Ils s'enferment dans une chambre et tentent de réaliser le maximum de jeux selon trois règles : chacun doit être basé sur un thème et être réalisé en moins de sept jours par une même personne. Devant le succès du site, ils décident un an plus tard de l'ouvrir au public. Depuis, les créations affluent et le site compte aujourd'hui plus de quatre cents jeux qui titillent l'imagination et bousculent le gameplay. Parmi nos préférés : le surréaliste On a Rainy Day de Shalin Shodhan, le jeu de construction Tower of Goo de Kyle Gabler et le Bonsaï virtuel de Christian Schlager.

Inspiré par le concept, Petri Purho a repris à son compte les trois règles et, chaque mois, développe un nouveau petit jeu qu'il met en ligne sur son site, Kloonigames . Un des plus intéressants est Crayon Physics , dont une version enrichie ( Crayon Physics Deluxe ) a reçu le premier prix de l' Independant Games Festival 2008 et l'intérêt des médias.

Retour à la poésie avec l'Américain Jason Nelson , qui mélange vidéos de famille, textes poétiques et code source pour composer des œuvres hybrides «entre jeu, poésie et Net art» . Sa création majeure, Game Game Game and Again Game , dénonce les systèmes de croyance, du consumérisme au capitalisme, à travers treize tableaux peuplés de créatures bizarres, d'objets symboliques et textes obscurs. Poésie et émotion encore, avec l'univers de Tale of Tales , alias Auriea Harvey et Michaël Samyn. Célébrés pour The Endless Forest , un idyllique écran de veille multijoueurs, les développeurs présentent leurs œuvres comme des «peintures à explorer» . Dans leur dernière création, The Graveyard , on incarne une vieille dame qui, la main sur sa canne et le pas hésitant, visite un cimetière. L'interactivité est limitée mais offre un lien direct et émouvant avec le personnage. En achetant la version payante (3 euros), on s'offre la possibilité de mourir, une curieuse option vécue très naturellement.

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