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Libération

Les blogueurs sponsorisés contraints à la transparence

par Camille Gévaudan
publié le 7 octobre 2009 à 15h53
(mis à jour le 2 novembre 2009 à 13h09)

«J'ai eu la chance de tester le nouveau gel Golden Forever Young ADN 5 en 1 de Baymelline, et j'ai clairement noté, ces derniers jours, que j'ai deux fois moins de rides au coin des yeux. J'adore, j'adopte !» Les blogueurs et blogueuses américain(e)s sont désormais priés de déclarer en toutes lettres le caractère publicitaire de ce type d'articles. La Federal Trade Commission, une agence indépendante du gouvernement chargée de contrôler les pratiques commerciales, vient de publier à leur égard des recommandations sur les publicités éditorialisées. Comme leurs équivalents dans les médias traditionnels, elles devront être clairement indiquées comme telles, par l'une ou l'autre des formules adéquates : «publi-rédactionnel», «billet sponsorisé»... La dissimulation de la rémunération perçue en échange de l'article pourrait être punissable, à partir du 1e décembre, d'une amende de 11000 dollars (7500 euros environ).

La dernière publication de recommandations sur la publicité éditorialisée datait de 1980. Il était donc grand temps d'adapter les règles aux technologies apparues par la suite et aux nouveaux usages qui les ont accompagnées. Les membres de la Commission évoquaient notamment, lorsqu'ils ont annoncé le projet au mois de mai, une tendance croissante des consommateurs à se tourner vers les sites Internet amateurs pour se renseigner sur des produits et des services.

Tout l'enjeu était de savoir ce que la Commission ferait entrer dans la définition du paiement accordé aux blogueurs. S'ils sont payés comptant, le cas est évident et rentre dans le même bac que les publi-rédactionnels classiques. Mais les pratiques publicitaires se sont diversifiées, et les «compensations» actuelles ne font pas obligatoirement l'objet d'un transfert d'argent ; il s'agit souvent d'un échange «produit contre service». Les plus courantes vont du test de lotion pour la peau au bon d'achat de 500 dollars à dépenser dans une grande surface, en passant par les colis de sucreries offerts en échange de l'affichage d'un logo et d'un lien vers le site de la marque.

Finalement, ces trois situations sont comprises dans les nouvelles dispositions de la FTC. Le texte (PDF) qualifie de «promotion» toute présentation positive d'un produit par un blogueur, et considère comme une «compensation» le fait de garder possession du produit testé. La relation et l'arrangement conclu entre l'entreprise et le blogueur devront être clairement énoncés dans chaque article publié, quel que soit le produit concerné -- cosmétique, électronique, ou même des livres. Les critiques littéraires amateurs se verront donc apposer la même étiquette de vendu que les chroniqueuses de L'Oréal, sauf si... «Vous le testez et vous le renvoyez» , suggère Richard Cleland du Bureau of Consumer Protection. Et encore : il ne s'agit pas d'une exception aux nouvelles recommandations mais d'un point restant flou. Cleland avoue : «Je ne sais pas si ce type de situation compte comme une compensation...» En revanche, il explique à edrants.com que les critiques de films sont épargnés, la projection de presse n'étant pas un bien que l'ont peut matériellement emporter avec soi à la fin de la séance.

La détermination des types d'articles qui doivent ou ne doivent pas être déclarés comme publicitaires tient aussi au statut et aux conditions de travail du rédacteur. Est «blogueur» celui qui écrit pour son propre compte, sans toucher de salaire, et dont on attend un compte-rendu positif. Les journaux, en tant qu'institutions salariant ses journalistes et restant a priori libres quant au contenus publiés, n'ont pas à déclarer les nombreux produits qu'ils reçoivent chaque jour. Il reste le cas des sites Internet gérés par un groupe de personnes bénévoles, partageant un intérêt commun et écrivant par passion, mais ayant un cadre juridique -- une association loi 1901 par exemple. Il peuvent recevoir des dizaines de CD ou de DVD par semaine sans que leurs expéditeurs ne formulent de souhaits sur le ton de la critique, voire même simplement sur la publication d'une critique. Quid de ces amateurs organisés ? Et si un blogueur reçoit un livre et écrit la critique d'un autre ouvrage publié par le même éditeur, existe-t-il une relation entre cet éditeur et le blogueur ? Edward Champion, auteur de l'article sur edrants , a présenté de nombreuses situations ambiguës à Cleland qui n'a pas su ni voulu donner un avis tranché pour chacune d'entre elles.

Le texte publié hier, en effet, n'a ni valeur de loi ni vocation à le devenir. Sa visée est éducative ; il s'agit d'attirer l'attention des blogueurs sur les devoirs d'honnêteté et de transparence qu'il leur incombe. Cleland veut croire que «si les blogueurs comprennent les circonstances dans lesquelles ils doivent mentionner le caractère publicitaire de l'article, ils le feront.» N'ayant pas les moyens de surveiller les centaines de milliers de blogs en ligne sur la toile, le FTC se contentera de recueillir les plaintes individuelles et d'étudier le contexte de chaque affaire pour se prononcer. «Il y a des situations très complexes qui devront être examinées au cas par cas, pour déterminer s'il y a une connexion suffisante, une compensation suffisante entre le vendeur et le blogueur. Nous avons fourni des recommandations dans ce domaine, et des exemples de cas de promotions.»

Et cette promotion peut aussi se faire sur Facebook. Citer une société dans son statut personnel, s'inscrire dans la liste des «fans» d'une marque peut compter comme une forme de publicité si l'on a reçu, y compris dans un cadre extérieur au réseau social, un produit ou une autre forme de compensation. Et ce qui marche pour Facebook s'applique aussi à Twitter. Les annonces de relations sponsorisées devront être intégrées à tout message concerné, même limité en longueur : «Il y a des moyens d'abréger le message d'avertissement pour que ça rentre dans les 140 caractères. Vous pouvez garder un peu de place pour dire autre chose, mais si vous ne pouvez pas intégrer l'avertissement, vous ne pouvez pas publier la pub.»

En France, l'obligation de signaler les articles sponsorisés est déjà inscrite dans la loi. Le Code de la consommation considère comme «une pratique commerciale trompeuse» le fait d' «utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d'un produit ou d'un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l'indiquer clairement dans le contenu» . Un article de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) précise que cette obligation d'identification s'applique à Internet : «Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.»

Les blogueurs français ayant l'habitude de publier des billets sponsorisés plus ou moins dissimulés peuvent être condamnés, pour tromperie, jusqu'à 37500 € d’amende et/ou deux ans d'emprisonnement.

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