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Libération

Les majors aux trousses, Grooveshark gagne une bataille

par Aziz Oguz
publié le 12 juillet 2012 à 10h44
(mis à jour le 12 juillet 2012 à 15h47)

Grooveshark respire. Poursuivi par les trois majors de l'industrie musicale (Universal, Warner et Sony ; EMI ayant été vendu à Universal et Sony ), le site d'écoute sur Internet a gagné une importante bataille contre Universal la semaine dernière. La justice américaine a rejeté la principale ligne de défense de la major, qui voulait mettre à profit une faille dans la législation américaine sur les œuvres musicales protégées: elle est différente selon que celles-ci datent d'après ou d'avant 1972.

A la différence de ses concurrents (comme Deezer , Spotify ou encore Rdio ), Grooveshark permet à ses utilisateurs d'uploader des musiques sur son site. «Nous voulions faire pour la musique ce que Youtube avait fait pour la vidéo, en adaptant ainsi son modèle de contenu et son business model» , raconte son fondateur Sam Tarantino au Journal du net . «Nous souhaitions donner la possibilité à des artistes de poster leurs contenus et d'être entendu par des millions de fans.» Or, comme sur YouTube, des contenus protégés se retrouvent sur le site, et les majors reprochent à Grooveshark de gagner de l'argent sur leur dos: n'ayant pas signé d'accord de licence, le site de musique en ligne ne reverse aujourd'hui aucunes royalties .

Même si Grooveshark joue avec la ligne jaune, son activité n'est pourtant en rien illégale. Le site s'appuie sur le Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui régit le droit d'auteur aux États-Unis depuis 1998. La loi applique le principe du safe harbor (littéralement le port protégé) qui défend le fournisseur d'accès (et plus largement l'hébergeur, la plateforme, etc.) de l'action de ses utilisateurs. Elle stipule ainsi que lorsqu'une œuvre protégée se retrouve sur une plateforme de partage, l'ayant droit doit le signaler à l'administrateur qui doit impérativement l'enlever (c'est la procédure dite de take down ). Et Grooveshark dit appliquer cette démarche à la lettre. Sauf qu'aussitôt supprimée, la chanson réapparaît, remise en ligne par un autre utilisateur (le site en revendique plus de 30 millions)... Les majors reprochent aussi à Grooveshark la lenteur de son système de suppression et surtout la non surveillance des contenus protégés en amont. Mais encore une fois, le DMCA n'oblige en rien un site à le faire.

Dans ce genre de bataille, toutes les manœuvres sont bonnes pour gagner. Et Universal avait cru pouvoir utiliser une bizarrerie du droit américain sur le copyright . Aux États-Unis, la loi fédérale (et donc le DMCA) ne s'applique pas aux œuvres datant d'avant 1972. Et uniquement sur les œuvres... audio ( un article détaillé de Techdirt sur la question, en anglais). Celles-ci dépendent des législations des États américains qui sont, rappelle Mike Masnick sur Techdirt , «différentes et (souvent délirantes)» . Universal voulait donc poursuivre Grooveshark à propos de son catalogue pré-1972 disponible sur le site de musique en ligne.

Mais la cour de justice new-yorkaise n'a pas retenu l'argument de la major. Elle s'est basée sur un cas similaire: EMI avait intenté un procès identique à MP3 Tunes, un site de partage de fichiers audios, et avait perdu. «Il n'y a aucune raison textuelle ou autre de penser que le Congrès [américain, qui a voté le DMCA, ndlr] avait l'intention de limiter cette répartition des responsabilités [signalement par les ayants droit puis suppression par la plate-forme, ndlr] seulement aux enregistrements post-1972. [...] La disposition du "safe harbor" codifiée par l'article 512(c)(1) du DMCA s'applique aux enregistrements pré-1972» , a tranché le tribunal.

Mais, entre Grooveshark et les majors, la bataille judiciaire n'est pas pour autant terminée. Elles accusent notamment le site de pousser ses employés à mettre en ligne des musiques protégées par le droit d'auteur (suite au témoignage d'une personne qui prétendait y travailler). Grooveshark ne pourrait alors plus s'abriter derrière le safe harbor .

Le jugement du tribunal new-yorkais du 10 juillet 2012.

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