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Miss Gloss S01E12: l'épée de l’anonymat peut vous frapper à tout moment

Toutes les semaines, retrouvez sur Ecrans.fr les maraboudficelles de Miss Gloss.
par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 27 mars 2011 à 12h58

P reviously, on Miss Gloss : C'était vendredi, dans votre formidable boîte de com, vous avez englouti du whisky, de la pizza et de l'aspirine. Le sextape de Sophia, la blonde de la compta, vous a régalé, quoi que vous vous en défendiez. Votre iPhone témoigne de vos propres écarts avec Sarah. Laissant en plan une question: jusqu'où êtes-vous allé?

Lundi, 10h22 – Vous ouvrez un œil, vous ne savez plus quel jour, ou ce qui vous vaut d'être là. Votre téléphone par terre, votre appli de réveil qui n'a pas pu fonctionner. Impression d'avoir traversé le désert de Gobi, dansé une wiimote à la main, toute la nuit. Courbatures, tête pleine, un truc loin derrière, vous verrez plus tard. Vous êtes en retard.

11h40 – Un café, Sophia , la blonde sculpturale de la compta et sa voix d'hôtesse de bastingue, des notes de frais à signer, la charte graphique du projet Eau Minérale, une réunion Flash à prévoir pour la mise en ligne d'un lancement, une autre sur… Vous levez la tête, conscient soudain du calme ambiant. C'est lundi, et il semble que ce ne soit le bordel que dans votre tête. Nanard et son équipe Web sont certes en réunion, dans le bocal, mais il y a là Damien, Nestor, et une demi-douzaine d'autres. Le spectacle est saisissant. Il se résume à une même silhouette – œil rivé à l'écran, une main en léger mouvement à même le bureau tandis que l'autre lève un gobelet fumant – déclinée en versions masculine ou féminine. Vous vous envisagez en maître d'un parc de robots. Vous maudissez votre iPhone, la blonde, votre café brulant et lavasse.

12h17 – Sarah devant votre bureau. Vous lui demandez un instant, prenez un air affairé, cliquez, tapez. Peut-elle voir que vous êtes sur YouTube, Deezer, Ecrans ? Peut-elle voir vos manœuvres pour retrouver vos souvenirs, vos neurones, un semblant de dignité ?

12h19 – « Oui, Sarah ? » Vous avez parlé trop fort, d'une manière trop enjouée. Elle tourne le dos à la salle, elle vous lance un sourire enjôleur. Elle réclame votre avis sur un choix de gamme de couleurs. Trop heureux de saisir cette perche totalement professionnelle, vous en rajoutez, Damien lève la tête. Vous vous félicitez que Nanard et sa grande bouche ne soient pas là.

12h21 – Un regard en biais sur Sarah, petite nana enjouée, toute en rondeurs, des cheveux châtain qui tombent au milieu du dos – le genre à rendre un homme heureux, pensez-vous en nettoyant votre boîte mail. Vous n'avez toujours aucune certitude sur ce qui s'est passé entre vous, vendredi. Une seule vérité : les photos montrant une Sarah aguicheuse , ses atouts largement exposés.

12h23 – Mail de Sarah. « On dej, toi et moi ? » Merde. Elle vous balance des coups d'œil, vous le sentez, elle attend votre réponse.

12h25 – La meilleure défense, en l'occurrence, c'est la fuite , et vous disparaissez dans les couloirs : RH, compta, informatique trouvent grâce à vos yeux.

13h32 – retour à votre bureau. Tous sont partis déjeuner, sauf Damien, qui, charrette, tient un sandwich à la place du gobelet matinal. Et Sarah. Elle vous fusille du regard. Vous envisagez de la planter là. Checkez vos mails. Remessage de votre graphiste. Vous soufflez, mais quoi faire d'autre ? Son regard planté sur vous, à six mètres, vous ouvrez le courriel. « Il FAUT qu'on déjeune. Ta réputation en jeu autant que la mienne. Amène ton iPad » S'en suit le nom d'un un bar pourri à trois rues de votre formidable boîte de com. Et : « Je t'y retrouve dans 10 minutes. »

14h02 : Sarah a les yeux rougis , son maquillage essuyé à la hâte a sali son visage. Elle dit : « Je suis désolée. » Et : « Je ne comprends pas pourquoi on me fait ça, à moi. » Elle a posé son mouchoir en papier roulé en boule, n'a pas touché à sa pizza. Elle tapote votre iPad, se connecte à Facebook. Sur son mur, des photos de la soirée de vendredi très similaires à celles que vous avez sur votre iPhone. Vous posez vos couverts, une goulée d'eau qui pique. Vous ouvrez les photos. Sarah pleure, dit qu'elle ne veut plus les voir, qu'elle ne sait pas quoi faire. Vous ne l'écoutez pas, vous fouillez les photos. Vous n'y figurez pas – oh, à peine un bout de poignet, un détail de pantalon. Sarah, elle, en déborde de nudité.

C'est lundi, il est 14h04, et vous êtes sûr des trois points suivants : le profil émetteur des photos compromettantes est un fake ; la petite gonzesse en face de vous est devenue votre boulet ; l'épée de l'anonymat peut vous frapper à tout moment.

Votre semaine s’annonce occupée.

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