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Libération

Royaume-Uni : tout le porno filtré ?

par Alexandre Hervaud
publié le 21 décembre 2010 à 12h42
(mis à jour le 21 décembre 2010 à 13h17)

God save the cul ! Ed Vaizey, ministre anglais des communications, envisage de rencontrer les FAI d'outre-Manche pour discuter du blocage total des sites pornographiques , le tout afin d'éviter la mise à disposition de contenu explicite pour les plus jeunes. Les abonnés souhaitant pouvoir accéder à ce genre de sites seraient invités à se signaler auprès de leur FAI pour désactiver le blocage.

Tout part d'un constat : un sondage réalisé cet été par Psychologies magazine rappelé par le site australien News.com avance qu'un enfant de 10 ans sur trois en Grande Bretagne a déjà vu du contenu pornographique sur Internet. Le bien fondé d'une telle stratégie laisse pourtant planer de grands doutes quant à son efficacité, et surtout quant à ses dérives potentielles qui feraient presque passer notre Loppsi 2 nationale pour une banale charte de bonne conduite.

Ainsi le Guardian , dans une chronique signée Tom Scott , explique en quoi un «Great British Firewall» (référence à la «Grande Muraille pare-feu de Chine») serait aussi inefficace que dangereux. Il cite par exemple les exemples de sites ou plateformes en théorie tout public mais où les contenus olé-olé peuvent être trouvés sans peine : Flickr, Tumblr, etc. Un filtrage efficace reviendrait à rendre ses sites indisponibles, décourageant du coup tous les foyers à opter pour cette solution : un coup dans l'eau, en somme. L'Angleterre a d'ailleurs déjà connu un épisode de ce type : fin 2008, c'est tout Wikipedia qui était bloqué pour les utilisateurs d'outre-Manche par leurs FAI, le tout à cause d'une pochette d'un vieil album de Scorpions qualifié de pornographie infantile par des âmes prudes ayant 32 ans de retard (l'album date de 1976).

L'autre théorie de Scott se base sur l'expertise toujours plus précoce des enfants, cette fois-ci non pas en matière de vision de cochonneries pour adultes, mais de pratiques informatiques : les moyens de contourner les éventuels filtrages sont effectivement plus à la portée des jeunes digital natives que de leurs parents.

«Nous sommes capables de bloquer des sites, il faut juste trouver la bonne approche» , a déclaré un porte-parole du FAI Virgin Media, tandis que son concurrent TalkTalk va encore plus loin dans le mode carpette : «notre objectif n'est pas de faire ce que les politiciens nous demandent, mais de faire ce qui est bon pour nos clients. Si d'autres entreprises ne le font pas de leur propre chef, peut-être qu'elles devront être forcées» . Devant une telle entente avec l'autorité, on se dit qu'à côté, Xavier Niel, c'est Johnny Rotten (même s'il convient de noter la relative prudence du FAI BT, bien conscient de la difficulté d'un tel chantier qualifié d'impossibles par moult experts).

D'ailleurs, restons en France : un tel système draconien pourrait-il être envisagé au pays de la Hadopi ? Typiquement, on se dit que l'idée pourrait séduire une structure comme e-enfance («le net qui laisse toutes ses chances à l'enfance»), qui milite pour la protection des plus jeunes sur Internet. Dominique Delorme, responsable Net Ecoute de l'association et spécialiste des logiciels de contrôle parental, parle «d'un sujet délicat» . «On est au delà du blocage de site pédo-pornographiques que nous acceptons et pour lequel le consensus est général [ou presque, ndlr]» . Et d'ajouter : «nous militons pour l'installation systématique de ce type de logiciel dans un foyer avec enfants» , tout en rappelant que contrairement à leurs homologues anglais, les FAI français ont pour obligation depuis 2006 de fournir gratuitement à leurs abonnés un logiciel de contrôle parental.

Pour lui, les améliorations à faire dans ce domaine peuvent venir en partie des sites pour adultes qui ne respectent pas tous l'obligation de barrière d'entrée (ultra facile à dépasser quand il s'agit de dévoiler son âge sans aucune preuve que sa bonne foi, certes). Delorme explique que les progrès réalisés dans ce domaine sont encourageants : «Il y a plusieurs technologies qui fonctionnent, de la détection de mots clés qui sont souvent les mêmes à l'analyse de l'image qui détecte le pourcentage de déshabillage, jusqu'à l'analyse des fréquences de mouvements qui peuvent reconnaître les actes porno effectués» .

Signalons toutefois une initiative qui ne devrait pas susciter (autant) de controverse : en 2011, les plus jeunes élèves anglais recevront à l'école des cours de «sécurité numérique» , une sorte d'initiation aux bonnes conduites à adopter en matière de vie privée pour les plus jeunes, le tout grâce à un logiciel qui permettra aux enseignants de surveiller (les plus pessimistes diront «fliquer») leurs élèves pour détecter des comportements à risque.

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