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Libération

TNT: six chaînes gratos contre les canaux bonus

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 13 octobre 2011 à 9h16

C’est un bien beau cadeau que le gouvernement va glisser dans les petits souliers des Français : six nouvelles chaînes de télé. Et gratuites, s’il vous plaît. Et en haute définition, avec ça. On espère que l’électeur s’en souviendra au moment de voter en 2012, parce que c’est pas tous les jours que le PAF augmente ainsi d’un tiers : bientôt, en septembre 2012, ce sont au total 24 chaînes qui s’offriront aux yeux baignés de larmes de joie des téléspectateurs.

Sitôt l'annonce de Matignon hier, la félicité a gagné tous les acteurs de l'audiovisuel. «Très satisfait» , Alain Weill qui, il n'y a pas deux semaines, menaçait de vendre aux Allemands son groupe NextRadioTV (BFM TV, RMC, etc.). «Une très bonne nouvelle» , pour le patron de NRJ Group, Jean-Paul Baudecroux, qui, mi-septembre, se voyait bien pendre le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel( CSA) Michel Boyon avec les tripes de Nicolas Sarkozy. Et le même youpi de retentir de chaîne en chaîne.

Car voilà : tout le monde a gagné. Dès le lancement de l'appel d'offres pour les six nouvelles chaînes (1) par le CSA (ce pourrait être mardi prochain), Alain Weill proposera la candidature de RMC Sport, une chaîne d'infos sportives, tandis que Jean-Paul Baudecroux présentera le dossier de Chérie HD, chaîne à destination des femmes, et celui de Nostalgie, consacrée au patrimoine. TF1 et M6, coincées par l'incursion de Canal + dans la télé gratuite avec le rachat de Direct 8 et Direct Star, vont pouvoir allumer des contre-feux : la Une avec TV Breizh et la Six avec M6 Famille, voire Paris Première, aujourd'hui payante sur la TNT. D'autres pourraient tenter leur chance pour décrocher l'un des six canaux : L'Equipe ou certainement Canal + et son Canal 20 .

Oui, Canal 20, comme le nom de code du projet de chaîne bonus de Canal +. La chaîne bonus ? Allez, on vous réexplique : pour remercier les chaînes privées historiques de ne pas trop traîner les pieds lors du lancement de la TNT, le gouvernement avait prévu dans la loi que TF1, Canal + et M6 obtiendraient, au moment de l'extinction de l'analogique, fin novembre 2011, une chaîne automatiquement, sans appel d'offres. Mais au printemps dernier, alors que Bruxelles examine à la loupe ce gentil cadeau, Canal + dégaine son projet de chaîne bonus : Canal 20, gratuite et au budget de 100 millions d'euros. La riche Canal + sur le marché de la télé à l'œil ? Glagla pour M6 et surtout TF1 qui, brusquement, trouvent que c'est une très mauvaise idée, cette chaîne bonus.

Et -- comme c'est étrange -- l'été venu, le gouvernement commence lui aussi à trouver que ces foutues chaînes bonus n'ont que des défauts. Il confie à Michel Boyon un rapport sur l'avenir de la TNT. Objectif : enterrer les chaînes bonus. Et de fait, en septembre, ledit rapport préconise gentiment qu'en cas de veto bruxellois aux chaînes bonus, celles-ci devront être abrogées. Et, au cas où, il conseille également une nouvelle norme de diffusion pour la TNT, le DVB-T2, qui nécessite de changer les décodeurs et repousse toute nouvelle chaîne à 2013 au bas mot. Hurlements de Weill et Baudecroux, ce dernier fustigeant un CSA qui «laisse dormir des fréquences pour préserver l'intérêt de certains» .

Matignon doit arbitrer mais attend la décision de Bruxelles sur les chaînes bonus, qui tombe fin septembre : comme prévu, les chaînes bonus sont retoquées. Matignon n'a plus qu'à se donner le beau rôle : une loi, dans les deux mois, abrogera les chaînes bonus et, béatitude, six chaînes seront lancées qui contenteront tout le monde. Tandis que le coup de la norme, tout de même un peu énorme, est renvoyé à plus tard. «On n'est pas obligé de toujours se faire du mal» , indique-t-on, pince sans rire, à l'Elysée. Ça non. Surtout à huit mois de la présidentielle, où Nicolas Sarkozy a tout intérêt à se muer en caméléon pour faire plaisir à toutes ses grandes amies les chaînes de télé.

(1) Toutes privées, et par conséquent aucune pour le service public.

Paru dans Libération du 12 octobre 2011

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