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Libération

«WikiLeaks a changé la vision des rédactions»

par Sophian Fanen
publié le 4 janvier 2012 à 12h53

Simon Rogers dirige l'équipe de data journalistes du quotidien britannique The Guardian . Il a notamment publié début décembre une étude très détaillée des émeutes de l'été dernier outre-Manche, qui montre entre autres que les personnes arrêtées venaient en grande majorité de communes pauvres.

Comment avez-vous commencé à travailler avec les données ?

Je dirais que ça a commencé avec le 11 Septembre. Je travaillais comme éditeur [relecteur, vérificateur et titreur, ndlr] avec l'équipe d'infographistes pour traiter un sujet avec des données. Pour être honnête, je suis journaliste, et pas statisticien ou développeur. Mais il est devenu évident que pour tirer un maximum de ce genre d'événement, il fallait savoir travailler avec les chiffres. Je pense aussi qu'il y a une différence avec l'infographie, qui ne fait que présenter des chiffres. Le journalisme de données les analyse et les explique pour enrichir un sujet.

Les journalistes sont pour la plupart réticents à travailler avec des chiffres, ce n'est pas leur culture.

Je pense qu'il s'agit avant tout de penser les chiffres comme une source supplémentaire. Je ne suis pas particulièrement bon en mathématiques, mais je questionne les chiffres et c'est la qualité première dans ce domaine.

Comment la rédaction du Guardian réagit-elle à votre travail ?

Elle réalise que ce que nous faisons fait désormais partie du travail d’un journaliste. WikiLeaks a changé pas mal de choses dans la vision qu’ont les journalistes en interne, parce qu’on a alors eu besoin des data journalistes pour comprendre les données livrées : aujourd’hui, plus personne ne nous demande ce que l’on fait.

Les portails de données publiques se multiplient et sont de plus en plus riches, qu'est-ce que cela change pour vous?

Les gouvernements publient davantage d'informations, mais pas toujours dans une forme accessible malheureusement. Ces données sont trop fréquemment publiées dans des formats pauvres, comme le .PDF, ou sans les informations qui permettent de les comprendre et de les exploiter. Il est également très difficile d'obtenir les données brutes, avant qu'elles soient agrégées dans des tableaux. Puis il y a un autre problème qui est l'utilisation d'une géographie qui n'est pas toujours cohérente et complique la comparaison de ces données... Nous pouvons néanmoins être le relais entre ces données et les citoyens qui tentent de comprendre mais ne savent pas par où commencer.

Certains reportages ont changé le cours de procès dans le passé. Est-ce que la justice a pris en compte les conclusions de votre travail sur les émeutes de Londres ?

On a aidé à changer le débat. Immédiatement après les émeutes, les politiciens étaient pontifiants sur les événements et leurs causes. Nous avons mis leur vision à l’épreuve. Nous ne savons toujours pas ce qui a provoqué ces émeutes, mais maintenant nous sommes un peu plus proches de la vérité.

Paru dans Libération du 3 janvier 2011

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