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Libération

WikiLeaks, scoop toujours…

par Alexandre Hervaud
publié le 29 juillet 2010 à 10h08
(mis à jour le 29 juillet 2010 à 10h47)

Ni média ni plate-forme 100% collaborative (car non modifiable instantanément par n'importe qui), WikiLeaks est un site spécialisé dans la diffusion de documents inédits. Et, si possible, compromettants pour de grandes institutions, qu'il s'agisse de gouvernements, d'armées, voire de cultes. On n'énumérera pas ici la longue liste de leurs scoops, mais il faut bien saisir le mode de fonctionnement de ce site trublion fondé en 2006 et opérationnel depuis 2007.

Via des formulaires sécurisés, censés assurer leur anonymat, les apprentis Gorge Profonde peuvent soumettre à WikiLeaks des documents secrets (texte, photos, vidéos). Une fois transmis, les fichiers - nécessairement jamais publiés ailleurs - sont traités par l’équipe de bénévoles du site. C’est cette étape qui nécessite le plus de ressources, humaines et technologiques : les petites mains doivent s’assurer de la véracité des informations tout en évitant les risques de sabotage interne, d’où une prudence frôlant parfois la paranoïa : échange de mails cryptés, usage de pseudonymes, etc.

Malgré cette minutie, le secret n'est jamais totalement garanti, surtout si la source en question commet la gaffe de se vanter d'être à l'origine d'une publication. C'est ce qui est a priori arrivé fin mai au jeune Bradley Manning, un analyste en renseignement dans l'armée américaine, âgé de 22 ans. En discutant avec un hacker (pirate informatique), il s'attribue imprudemment la paternité des fuites ayant permis à WikiLeaks de publier la vidéo d'une bavure américaine en Irak, soldée par la mort de civils. Balancé par le hacker, Manning est depuis maintenu en détention au Koweït et risque jusqu'à cinquante-deux ans de prison si l'enquête et un procès confirment sa culpabilité. WikiLeaks s'est évidemment bien gardé d'affirmer ou de nier une quelconque implication du militaire, dont le nom est revenu au premier plan cette semaine avec les récentes données mises en ligne sur le bourbier afghan ; des documents auxquels Manning aurait pu avoir accès, avance le magazine Wired .

Si ce n'est son jour de parution, un dimanche, cette dernière publication n'aura d'ailleurs pas surpris grand monde. L'existence des documents était connue depuis des semaines, divers médias (dont le Guardian , partenaire de WikiLeaks sur ce coup avec le New York Times et Der Spiegel) s'en étant fait écho en évoquant la «fuite». Le mystérieux porte-parole australien de WikiLeaks, Julian Assange (lire ci-contre), s'était pourtant fait discret - du moins, plus que d'habitude - ces derniers temps, après l'arrestation de Manning.

Au-delà de cet emblématique ambassadeur, WikiLeaks compte sur un réseau d’internautes motivés, sorte de désobéissants 2.0 : si certains s’impliquent dans le travail de vérification des faits, la principale forme de soutien reste financière. Asphyxié par les coûts techniques (nombreux serveurs informatiques, cryptage des réseaux, voyages divers…), le site a failli mettre la clé sous la porte il y a quelques mois, contraint d’en appeler aux dons sur la Toile. L’exposition médiatique de la vidéo irakienne aurait rapporté plus d’un million d’euros au site, d’après le Guardian, et on peut prévoir une recrudescence des versements après ce nouvel épisode.

Reste que l’aura de WikiLeaks peut être relativisée, ne serait-ce que par la nature souvent complexe de ces scoops. En effet, malgré la profonde défiance exprimée par Julian Assange envers les journalistes, c’est bel et bien via trois médias traditionnels cités plus haut que ces carnets de guerre afghans ont trouvé un écho mondial. Nul doute qu’une publication directe de ces 92 000 documents bruts n’aurait pas rencontré pareil succès sans l’exposition offerte par ces trois unes simultanées. Le partenariat de WikiLeaks avec des médias particuliers permet d’alerter l’opinion publique, d’initier le débat tout en laissant aux journalistes, blogueurs et citoyens lambda (les trois catégories n’étant pas cloisonnées) la possibilité de fouiller à leur tour dans les données.

Cette manière d'utiliser les journaux pour se couvrir de toute attaque n'est pas qu'une simple posture : dans les faits, WikiLeaks, non rémunéré par ces partenaires, bénéficie des services gracieux de leurs avocats réputés. Au rayon des soutiens de taille, le site a également les faveurs de certains politiques islandais, qui viennent d'adopter une loi (Islandic Modern Media Initiative) faisant de l'île un «paradis de l'information» , en référence aux paradis fiscaux. Ce texte, qui consolide la liberté de la presse à l'ère du numérique, a été inspiré par l'action de WikiLeaks, quasiment reconnu d'utilité publique là-bas après les révélations d'un scandale bancaire que les médias locaux, muselés, ne pouvaient aborder.

A ce sujet, Jeff Jarvis, journaliste américain auteur de la Méthode Google , estime que «WikiLeaks fournit un travail qu'un journal ne voudrait ou ne pourrait pas faire. Et pour un gouvernement ou une entreprise, un journal est plus facile à attaquer.» Et pas seulement au niveau légal : multiplicité des serveurs oblige, supprimer l'accès à WikiLeaks et à toutes ses ramifications dans un pays reviendrait à couper l'accès à Internet tout court.

Paru dans Libération du 28/07/2010

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