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Libération

«Ces jeux détériorent la qualité de vie»

par Erwan Cario
publié le 8 avril 2011 à 10h38

Jonathan Blow est programmeur et créateur de jeu vidéo indépendant. Il a développé le jeu de plateformes et d'énigmes temporelles Braid , qui a remporté de nombreux prix, dont celui du meilleur game design à l'Independant Games Festival (IGF) de San Francisco en 2006.

Mis en avant en août 2008 sur le service de téléchargement XBLA de la Xbox 360, Braid a été un des premiers jeux indépendants à toucher un large public. Depuis quelques années, lors de nombreuses conférences, il s'attaque avec virulence aux jeux qui se basent uniquement sur un système de récompenses conceptuellement pauvre pour appâter et garder les joueurs. Un principe selon lui contraire à l'éthique.

Des millions de joueurs pratiquent quotidiennement des jeux Zynga, comme Farmville. Vous considérez que ces jeux ne sont pas éthiques, pourquoi ?

Car il s’agit d’asservissement. Le système d’amélioration arrivant à intervalles réguliers, pour que le joueur ne s’ennuie pas et ne finisse pas par quitter le jeu, est un principe similaire à celui de la boîte de Skinner. Il s’agit d’une expérience inspirée par les travaux de Pavlov dans laquelle on conditionne une souris pour qu’elle active compulsivement un levier grâce à un stimulus et une récompense aléatoire. Le raisonnement qui a abouti au mécanisme de Farmville n’a jamais pris en compte ce que le jeu pouvait apporter au joueur, que ce soit en terme de plaisir ou d’expérience, il a simplement cherché à optimiser les rouages pour diriger le comportement des joueurs et profiter au maximum de leur temps libre. Et ce temps-là est précieux. L’utiliser pour une activité aussi vaine ne peut être une bonne chose.

Vous expliquez que ces jeux ont été créés grâce à l’observation des joueurs par les game designers. Ce n’est pas une bonne chose, d’être à l’écoute des joueurs ?

Je ne parle pas d’être attentif aux souhaits des joueurs. Le processus d’observation consiste à utiliser le joueur comme une ressource à exploiter de façon optimale, et à cacher cette exploitation par la nature même du produit. Sous des dehors sympas qui semblent rendre le joueur heureux, c’est finalement un produit qui détériore sa qualité de vie.

Pensez-vous que cette évolution du jeu vidéo est dangereuse ?

Évidemment, je ne pense pas que ces jeux soient bons pour ceux qui y jouent. A la limite, ça peut être bénéfique si certaines personnes développent une immunité à ce genre. On verra bien.

Qu’est-ce qu’un bon jeu, éthiquement parlant ?

Il est impossible de répondre précisément à une question si vaste. Dans mon cas personnel, je crois au fait de vivre ma vie d’une façon raisonnable et éthique, que ce soit dans mes activités personnelles ou professionnelles. Et si je gagnais ma vie avec un jeu comme Farmville, je serais déprimé et je me sentirais coupable tout le temps. Ce qui n’est pas le cas avec tout un tas d’autres genres de jeux. C’est ce qui me guide dans mes choix.

Être éthique et gagner de l’argent avec un jeu sur Facebook, c’est compatible ?

Bien sûr que c’est possible ! Mais très peu de gens essaient vraiment. Du coup, vous n’avez presque aucune chance de voir un jour le résultat de leurs efforts.

Paru dans Libération du 7 avril 2011

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