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Libération

Acta : piqûre de rappel avant le vote au Parlement européen

par Emilie MASSEMIN
publié le 18 mai 2012 à 19h16

La mobilisation contre l'Accord commercial anti-contrefaçon (Acta) se poursuit, depuis la deuxième série de manifestations en Europe, qui avait rassemblé le 11février dernier quelque 100000 personnes en Allemagne et plus de 1000 en France. Le texte, signé le 26 janvier dernier à Tokyo par les représentants de 22 des 27États-membres de l'Union européenne (UE) ainsi que par les États-Unis, le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Singapour, la Corée du Sud, le Maroc, le Mexique et la Suisse, vise à lutter contre la contrefaçon au sens large, des médicaments et autres marchandises jusqu’au téléchargement illégal sur Internet.

Françoise Castex, député européenne anti-Acta membre du groupe socialistes et démocrates (S&D;), de la commission affaires juridiques et de la commission de l'emploi et des affaires sociales au Parlement européen, et Sandrine Bélier, également anti-Acta et député européenne membre du groupe les verts/alliance libre européenne et de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, ont fait le point sur le dossier lors d'une conférence de presse, mardi, à l'antenne parisienne du Parlement européen.

Course contre la montre

L'échéance approche. Le vote en séance plénière est normalement prévu les 3, 4 et 5juillet prochain. D'ici-là, plusieurs votes en commission parlementaire sont attendus, dont celle sur le commerce international (Inta) le 21juin. Rien n'est sûr cependant, car la guerre entre la Commission européenne, qui a négocié le texte en grand secret, et le Parlement européen, où une majorité contre-Acta se dessine, devient clairement politique.

La Commission européenne a récemment saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour lui demander si le traité est conforme aux acquis communautaires et à la Charte européenne des droits fondamentaux, une procédure d'au moins 18mois. Ce recours a été rejeté par le Parlement européen. «C'est une manœuvre pour ralentir le processus de ratification d'Acta, alors que l'avis de la CJUE ne servira à rien puisque les négociations sont terminées et que le texte n'est plus amendable» , s'insurge Françoise Castex.

«Fin2011, la Commission européenne a voulu jouer de vitesse et faire adopter le traité avant que les députés n'aient le temps de se plonger dans le texte, complète Sandrine Bélier. A partir du moment où la moitié des 22États-membres signataires d'Acta ont commencé à reculer et bloquer le processus de ratification, la Commission change de stratégie et tente de repousser le vote à dans deux ans, quand la majorité parlementaire aura changé après les élections européennes de 2014.»

Une opposition grandissante

Il faut dire que le processus de ratification s'engage mal pour la Commission. Pour entrer en vigueur au sein de l'Union européenne, le traité à besoin d'une double validation: au niveau national, une signature du chef de l'Etat et du gouvernement en plus d'une ratification du parlement, et au niveau de l'UE, la ratification du Parlement européen. A ce jour, douze pays ont suspendu leurs travaux sur Acta, parmi lesquels la Pologne, la République tchèque, la Lettonie, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et le Luxembourg.

Pour ce qui est de la France, Françoise Castex estime que l'élection de François Hollande à la présidence de la République pourrait compromettre l'adoption d'Acta. Le PS est «profondément contre Acta» , estime l'eurodéputée, comme en témoigne le communiqué cosigné par Aurélie Filippetti, aujourd'hui ministre de la culture et de la communication, et par Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, à l'innovation et à l'économie numérique, qui appelle le Parlement européen à ne pas ratifier le traité.

Le contrôleur européen de la protection des données (CEPD) Peter Hunstix a fait savoir dans un communiqué que le traité allait à l'encontre des droits énoncés par la Charte européenne des droits fondamentaux. «Une pétition citoyenne a été déposée au Parlement, signée par quasiment trois millions de personnes, deux millions en quelques semaines, précise Sandrine Bélier. Une manifestation va également entre prévue en juin, à l'occasion du vote par la commission Inta.»

«Ne pas relâcher la mobilisation»

Au Parlement européen, l'opposition au texte progresse, en tout cas au sein du groupe S&D.; «C'est intéressant de voir comment a évolué le rapport de force au sein de mon groupe, et comment aujourd'hui nous sommes une majorité à nous battre contre ce traité, observe Françoise Castex. Plus on connaît Acta, plus on est contre.» Une manière de signifier que la stratégie de la Commission, qui consiste à faire traîner le processus législatif, n'est peut-être pas si bonne. L'eurodéputée veut y croire: «La Commission joue sur la lenteur de la procédure avec la saisine de la CJUE, car elle sait que le Parlement européen ne ratifiera pas et qu'Acta va mourir.»

Sandrine Bélier ne partage pas cette analyse. «Tant que le Parlement n'a pas dit non à la ratification, on ne peut pas dire qu'Acta est mort, estime l'écologiste. La majorité anti-Acta reste fragile, il ne faut pas relâcher la mobilisation.» Elle met en garde contre une «euphémisation» du texte. «Il y a le texte de la loi et l'esprit de la loi, rappelle-t-elle. La Commission peut toujours dire que le traité ne contient pas telle ou telle mesure, mais le problème réside dans sa philosophie: il est taillé pour défendre les intérêts des ayants droit, au détriment de l'intérêt général, et ne garantit ni le respect des libertés individuelles, ni la protection des données personnelles.»

A titre d'exemple, Sandrine Bélier évoque l'article11, qui fait tomber la présomption d'innocence, puisque le texte indique que «les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner que le contrevenant, ou le cas échéant le prétendu contrevenant, fournisse au détenteur du droit [...] tout renseignement concernant toute personne impliquée dans l'atteinte ou l'atteinte alléguée» . «Cette sémantique est intéressante, relève l'eurodéputée, car elle instaure une présomption de culpabilité et donne tous les droits aux ayants droit.»

L'après-Acta

Autre source d'inquiétude, l'après-Acta. «Si le traité ne passe pas, cela ne signifie pas qu'on sera venus à bout de la volonté politique de protéger les ayants droit et de contrôler Internet» , souligne Françoise Castex, pour qui «la coïncidence chronologique entre Acta, Sopa et Pipa aux États-Unis et Hadopi en France ne relève pas du hasard» . L'eurodéputée redoute également la réforme de l'Ipred, la directive européenne sur l'application des droits de propriété intellectuelle, promise par la Commission depuis un an. La première consultation publique aura lieu en juin, en présence des opérateurs. «Le commissaire européen au marché intérieur et aux services Michel Barnier, soutenu par les lobbyistes, a pour objectif d'autoriser ce que prévoit Acta: la mise en relation des ayants droit et des fournisseurs d'accès à Internet (FAI), pour que les FAI puissent fournir aux ayants droit l'adresse IP d'un présumé contrevenant, sans passer par l'intermédiaire neutre d'un juge, alerte la membre du S&D.; Cela, on ne peut l'accepter. C'est une atteinte considérable à la neutralité du Net.»

«L'économie de la connaissance, l'actuel cheval de bataille de la Commission, a toujours existé, conclut Sandrine Bélier. Le numérique donne l'occasion d'une évolution: il faut s'assurer qu'il ne crée pas un frein mais offre plutôt un levier pour l'accès aux savoirs.»

A lire aussi : «Acta: la possibilité d'un rejet»

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