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Libération

Adieu disquette

par Camille Gévaudan
publié le 3 mai 2010 à 12h33
(mis à jour le 10 mai 2010 à 13h43)

Dong... Dong... Dong... Approche, ami technophile, et recueille-toi. Entends-tu le glas ? C’est pour la disquette qu’il sonne. Décédé, le petit disque et son enveloppe de plastique. Toute mourue, la bonne vieille disquette et son malheureux mégaoctet de mémoire...

Comment ça, elle est déjà morte depuis belle lurette ? Eh non, maudit ignare, on en vend encore des millions chaque année ! Rassurez-vous, on n'était pas au courant non plus avant de lire le communiqué de Sony. Mais c'est désormais officiel : la toute dernière disquette 3,5 pouces sortira des usines nippones en 2011. Retour nostalgique en forme d'adieu sur l'ancêtre de la clé USB.

A comme A: , le «chemin d'accès» qui identifie le lecteur de disquettes dans tous les PC... même les plus récents qui n'en possèdent pas ! Théoriquement, on peut choisir d'attribuer n'importe quelle lettre à n'importe quel lecteur en changeant quelques paramètres -- même le «C» traditionnellement réservé au disque dur principal --, mais une convention datant des années 1980 confère un statut particulier à «A» et «B».

D comme Douze millions , le nombre de disquettes que Sony vendait encore en 2009 au Japon. Pas douze ni douze mille, on a bien dit douze millions ! C'est loin d'être négligeable quand on compare le chiffre à celui de l'année fiscale 2002, qui a marqué le record absolu de ventes nippones et n'était que quatre fois supérieur (47 millions).

I comme IBM , qui a conçu la première disquette de l'histoire de l'informatique en 1967. Un poil encombrant avec ses 8 pouces de diamètre (20 cm), le «memory disk» était destiné à stocker des microcodes de programmation et remplacer les bandes magnétiques utilisées à l'époque, moins solides et trop longues à charger.

E comme Enregistrer le document. Ou sauvegarder une image, un montage vidéo, un mixage sonore, une progression dans un jeu vidéo... Que représente le pictogramme des boutons de sauvegarde, dans n'importe quel logiciel passé ou actuel ? Bingo ! Une disquette. Le petit carré de plastique au goût délicieusement rétro évoque encore aujourd'hui l'action de stocker des données -- tout comme la feuille blanche symbolise le «nouveau document» alors que cette interface primitive a malheureusement, on le sait bien, disparu depuis plusieurs décennies.

U comme Un mégaoctet et demi , ou presque. Si quelques disquettes dites «extended density» pouvait contenir jusqu'à 2,88 Mo de données, la capacité standard des 3,5 pouces est deux fois moindre. De quoi stocker 500 pages de texte, 8 secondes de son, une poignée de petites photos... Et si le contenu est trop lourd, on le coupe en rondelles ! La plupart des logiciels étaient livrés sur plusieurs disquettes, à insérer dans l'ordinateur les unes à la suite des autres. Photoshop 3.0 comptait ainsi 7 disquettes d'installation. Et Windows 95 ? Une quarantaine !

D comme Don't copy that floppy «Did I hear you right, did I hear you saying / That you're gonna make a copy of a game without paying?» («Je t'ai bien entendu ? Est-ce que tu viens de dire que tu vas faire une copie de ce jeu sans payer ?») Il paraît que les (sales) jeunes n'ont pas attendu Napster et eMule pour s'adonner à la vile pratique du piratage. Pas numériquement protégé et pas bien lourd, le contenu d'une disquette est drôlement simple à copier. Mais c'est aussi drôlement mal , comme le rappelle l'impayable MC Disk Protector (qui a composé l'an dernier la suite de son tube, Don't copy that floppy 2 ).

I comme iMac qui fut le premier ordinateur d'Apple conçu sans lecteur de disquette. Steve Jobs semble avoir toujours excellé dans l'art de déclarer des technologies obsolètes pour justifier leur abandon -- on pense bien sûr à la récente éviction du flash sur l'iPhone et l'iPad... En 1998, déjà, la firme à la pomme prophétisait la disparition des disquettes au profit des CD-Rom de stockage et de la circulation des informations en ligne, in the clouds comme on dit maintenant, via le réseau Internet. Les malheureux macophiles qui consommaient encore de la disquette ont dû investir dans un lecteur externe.

S comme Souple , puisqu'on rappelle que le terme anglais Floppy Disk signifie littéralement «disque souple». C'était encore plus flagrant dans le cas des disquettes 8 pouces et 5,25 pouces, dont l'enveloppe protectrice était aussi molle que le disque lui-même ( en vidéo ).

Q comme Queen . On n'est pas en train de dire que la disquette est la reine du stockage, faut pas déconner non plus... C'est Q comme Queen comme le groupe de musique, dont la chanson Bohemian Rhapsody a connu une nouvelle heure de gloire en débarquant sur YouTube remixée par une imprimante, un oscilloscope et des lecteurs de disquette. En contrôlant la vitesse de rotation du disque par un programme spécialement conçu, on peut même re-créer le thème de Star Wars : Tin tin tin ...

U comme Une poche de chemise , dans laquelle rentre facilement -- magie!-- la disquette 3,5 pouces. Il s'agissait apparemment d'un critère primordial aussi bien pour les consommateurs et les journalistes, qui ont largement célébré les mensurations de la «meilleure des shirt pocket disks », que pour ses concepteurs. Le musée informatique de Rhode Island se souvient d'une blagounette de George Morrow : au lieu de miniaturiser le matériel, pourquoi ne pas passer un accord avec l'industrie textile pour coudre des poches de 5 pouces et quart sur les chemises ?

1. Loquet de protection en écriture. 2. Indicateur de capacité. 3. Disque d’entraînement. 4. Volet de protection amovible. 5. Coque en plastique. 6. Disque en papier ou en tissu doux. 7. Disque magnétique. 8. Secteur d’une piste. Merci à Wikimedia Commons .

E comme Entrailles. Mais d'abord, comment c'est fait une disquette ? Avec tout le respect qu'on lui doit, disséquons le cadavre. Au cœur de la bête, un disque magnétique d'un diamètre de 3,5 pouces (c'est lui qu'on mesure, pas le plastique qui l'enveloppe), soit un peu de moins de 9 centimètres. Il est composé de 80 pistes concentriques -- un peu comme un arbre sauf que leur nombre ne permet pas de déterminer l'âge de la disquette mais sa capacité, bien entendu. Dans la version classique de 1,44 Mo, chaque piste compte 18 secteurs de 512 octets (1). Le tout est protégé par une petite pochette en papier, puis une coque carré en plastique dur avec un volet coulissant que l'ordinateur écarte pour approcher la tête de lecture, et une chouette étiquette blanche sur laquelle on note consciencieusement le contenu du disque. Clic , on peut aussi glisser le loquet de sécurité pour protéger la disquette en écriture.

T comme Téraoctet , qui est en passe de détrôner son petit frère Giga en tant que mesure de référence pour le stockage de données. Un téraoctet correspond à peu près à 700000 disquettes. Si on part d'une épaisseur de 3 mm, ça donne une pile de 2100 mètres de hauteur, soit six fois et demie la tour Eiffel.

T comme Trip , en s'inspirant de la recette inventée par le site iocose pour recycler ses vieilles disquettes. «Plongez le disque dans l'eau et faites bouillir quelques minutes, jusqu'à ce que l'eau soit complètement noire. Eteignez le feu et retirez le disque, ajoutez deux cuillères de sucre de canne et versez une petite rasade de gin. Remuez et servez chaud.» Délicieusement toxique.

E comme Et souvenez-vous : «Aucun disque n'est une île, un tout, complet en soi ; toute technologie est un fragment du continent, une partie de l'ensemble ; si le progrès emporte une pièce de plastique, l'informatique en est amoindrie.» Pardon à John Donne, et paix à tes clusters , chère disquette.

(1) 512 x 18 (secteurs) x 80 (pistes) x 2 (faces) = 1474560 octets. Soit 1440 Ko car il y a 1024 octets dans un 1 ko... On retombe sur nos pattes.

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