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Libération

Chatroulette, russe évidemment

par Camille Gévaudan
publié le 15 février 2010 à 20h26

Il en faut finalement peu, pour acquérir en quelques mois un statut de star internationale sur Internet. Une source d'inspiration -- Omegle , une bonne idée -- la webcam, un nom -- «Chatroulette», quelques connaissances informatiques et un peu de temps pour programmer le tout. Laisser mijoter à feu doux, et attendre trois mois. Le trafic lève, les blogs commencent à gonfler, le mystère dore délicatement sous le gril et la boîte e-mail frémit. Alors que les demandes d'interview commencent à pleuvoir, approche le moment crucial où il faudra sortir de l'ombre. Mais comment ? A quel blogueur, à quel journaliste, à quel magazine, à quel quotidien national fera-t-on l'honneur de répondre ? Libération ? Ha ha ha, trop petit joueur. Tant qu'à faire, choisissons le New York Times .

C'est donc le blog Bits (on n'osera pas dire que son nom l'y prédestinait) qui a décroché le scoop tant attendu, l'exclusivité inestimable de l'identité du créateur de Chatroulette . Et on est presque déçu. Ce n'était pas une communication virale pour fabricant de webcams, ni un complot orchestré par Complément d'enquête ( «coucou, tu veux voir ma bite ?» ), mais un adolescent russe. Andrey Ternovskiy, 17 ans, lycéen à Moscou. Et un peu timide, de surcroît : «Je ne savais pas si je devais révéler mon nom, parce que je ne suis pas majeur.» Autant dire qu'à son âge, il vaut effectivement mieux éviter de cautionner la ribambelle de zigounettes qui peuplent Chatroulette. «Certains utilisent le site à des fins un peu douteuses. Je suis vraiment contre.»

Dans la longue présentation qu'il a envoyée au New York Times par e-mail, Andrey Ternovskiy raconte tout : comment il a eu l'idée du site, ennuyé de parler toujours aux mêmes copains avec Skype, comment il l'a codé de ses propres mains, initié aux joies de la programmation par son père, à l'âge de 11 ans, et comment il a vu «le nombre d'utilisateurs connectés simultanément passer de 10 à 50, puis de 50 à 100 et ainsi de suite» , sans jamais en faire la moindre publicité. Aujourd'hui, ce nombre est de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers d'internautes. Victime de son succès, Ternovskiy a dû entièrement réécrire le code à plusieurs reprises pour optimiser le fonctionnement du site et la rapidité des connexions. Puis louer sept serveurs «à 7 gigabits par seconde» à Francfort, en Allemagne, pour des sommes qu'il n'aurait jamais imaginées. Dans une candeur adolescente presque attendrissante, il avoue avoir été «choqué» par le montant de ses factures de bande passante... et s'est tourné vers ses parents pour demander une aide financière : «Je suis heureux que ma famille m'ait aidé à "investir" de l'argent dans mon idée.» Les dépenses sont maintenant quasi-intégralement couvertes par les quatre liens publicitaires placés en bas de page. Webcam Chat , Chat room , Video Chat , Chat 18 : le taux de clics doit cartonner, en effet.

Pendus, seins et bites mis à part, Andrey Ternovskiy est fier des mises en scènes créatives dont font (parfois) preuve les chatrouletteurs : «Ils inventent des chansons sur les étrangers qu'ils rencontrent et leur chantent, ils dessinent, ils écoutent de la musique et la font partager, ils surfent en groupe et font la fête par webcam interposée. Je trouve ça génial.» Il dit ne pas trop savoir «ce qu'est Chatroulette à l'heure actuelle» , mais a déjà plein d'idées pour l'améliorer. «Des trucs intéressants et bizarres (dans le bon sens)» ...

Ses ambitions ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Hier, déjà, le capital risqueur Fred Wilson se disait intéressé par le jeune russe et prenait bien soin de noter son rêve de visiter les États-Unis : «je pense que nous allons contacter Andrey et lui faire visiter New York. Il me rappelle de jeunes entrepreneurs talentueux avec qui nous avons travaillé, et son histoire me semble si familière...» La société de Wilson, Union Square Ventures , a précédemment investi dans Etsy, Tumblr, Foursquare, Feedburner et Twitter, entre autres...

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