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Google : cinq clics, puis fric

par Astrid GIRARDEAU
publié le 3 décembre 2009 à 11h49

Un geste. Ainsi a été perçue l'annonce de Google d'un dispositif limitant l'accès gratuit vers les contenus payants des éditeurs référencés sur son moteur de recherche et son agrégateur Google Actualités. Et ceci dans un contexte tendu, où Google est l'objet d'une nouvelle fronde de nombreux médias dits traditionnels. En tête, Rupert Murdoch ( Wall Street Journal, Time , etc.), qui n'hésite pas à qualifier le géant américain de «kleptomane» .

«Nous avons décidé de permettre aux éditeurs de limiter, grâce à notre politique First Click Free , le nombre d'accès gratuits à cinq par utilisateur et par jour», a annoncé John Mueller, responsable de Google à Zurich, sur un blog du groupe . Le communiqué a été publié mardi alors que se déroulait, à New York, une conférence sur la survie du journalisme à l'ère d'Interne t.

En fait, ce service de «premier clic gratuit» ne date pas d'hier. Lancé en septembre dernier , il est même déjà utilisé par les sites du Wall Street Journal ou du Financial Times . Les nouvelles fonctionnalités annoncées mardi visent surtout à corriger les bugs de la première mouture, qui permet à un internaute passant par Google (Search ou Actualités) de lire un premier article payant sans rien débourser. S'il clique ensuite vers un autre contenu, toujours payant, il est redirigé vers le formulaire d'abonnement du site. Souci : en retournant sur Google, le compteur est remis à zéro et on peut ainsi accéder à tous les articles «protégés» du Wall Street Journal … Faille technique ? «Abus, par certains, de l'esprit du First Click Free» , dénonce sans rire John Mueller.

Qu'importe. L'offre est bancale et peine à séduire les éditeurs. D'où cette nouvelle formule censée identifier le lecteur qui a consulté cinq articles d'un site et empêcher une remise à zéro de ses visites s'il repasse par Google. Imaginons que les Echos ou Libération souscrivent à cet outil. Venant de Google, un internaute pourrait consulter gratuitement cinq articles payants avant d'être invité à sortir sa carte bleue. De retour sur Google, s'il cherche de nouveau à accéder à un de leurs contenus protégés, il sera reconnu et redirigé vers un formulaire d'abonnement.

«Cela permet à nos utilisateurs de consulter l'article qui les intéresse tout en les exposant à votre site et en les encourageant à s'inscrire» , explique Google . Pour Mueller, il s'agit aussi de répondre à la satisfaction de «la plupart des utilisateurs […] de pouvoir accéder à quelques pages venant des sites de contenus premium» . Gratuit et volontaire, le service First Click Free a été conçu pour les sites requérant un abonnement. Mais doit-on aussi y voir une incitation pour que les sites gratuits rendent leurs contenus payants au bout de cinq articles ? «Pas du tout , indique-t-on à Google France. Nous fournissons des outils. Après, faire du gratuit ou du payant sur tout ou partie des contenus relève de la stratégie de chaque éditeur». Le chiffre de cinq articles peut toutefois étonner, car très important par rapport au nombre de pages que propose un journal quotidien, notamment en France.

«Les gens qui se contentent de tout récupérer et de le publier tel quel […], nous considérons qu'ils volent nos histoires, car ils se servent sans payer… C'est Google, c'est Microsoft, c'est Ask.com, plein de monde» , dénonçait Rupert Murdoc h début novembre. Mardi, lors de la conférence à New York, le président de News Corp a remis le couvert : «Ils pensent avoir le droit de prendre nos nouvelles et de les utiliser pour leurs propres fins sans contribuer d'un cent à leur production.» Plusieurs fois, le magnat australien a menacé d'empêcher Google de référencer les contenus de ses sites.

En coulisses, Murdoch serait en discussion avec Microsoft pour un référencement exclusif de ses contenus sur Bing, le moteur de recherche maison. Le 24 novembre, le Financial Times révélait en effet que Microsoft aurait proposé à News Corp d'acheter l'exclusivité de l'indexation des articles du groupe et de se faire déréférencer de Google. Toujours selon le quotidien britannique, l'invitation aurait été lancée à d'autres groupes de presse en ligne. Dans la guerre d'indexation des contenus, c'est une attaque frontale contre Google. Et une offre tentatrice dans un contexte de crise et de recherche de financements. Car, au-delà des enjeux stratégiques et financiers sur l'accès aux contenus, c'est le débat sur l'offre gratuite ou payante sur Internet.

«Nous sommes conscients du fait que créer du contenu de qualité n'est pas facile et souvent cher» , a indiqué John Mueller . Une paraphrase un peu facile de Rupert Mudoch. Ce partisan d'un modèle payant , qu'il compte prochainement étendre à l'ensemble de ses sites d'info, le répétait encore mardi: «Le journalisme de qualité est cher [et] le contenu de qualité n'est pas gratuit.» Reste que le «geste» de Google montre une volonté de poursuivre les négociations avec les éditeurs.

Paru dans Libération du 3 décembre 2009

Sur le même sujet :

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