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Libération

In Famous Carousel repense le corps

par Marie Lechner
publié le 12 novembre 2010 à 17h29

A l'heure de la dématérialisation accélérée, de la dissolution de nos identités dans les flux et réseaux, le festival In Famous Carousel propose pour sa sixième édition de se réengager dans le monde physique, en invitant des artistes qui placent le corps au cœur de leurs concerts et performances. Le corps qui «reste un puissant espace d'expérience» est ici remodelé, agrafé, amplifié, étendu par les instruments et technologies.

Comme à son habitude, le manège, qui ne tourne pas rond, mêle les genres et tisse des connexions intrépides entre avant-garde historique et laborantins du numérique, autour du thème «Étendez-vous», décliné en plusieurs lieux parisiens et aux Musiques volantes à Metz.

Le public est convié à des méditations sonores, enveloppé dans les drones aux infimes variations du synthétiseur modulaire analogique d'Eliane Radigue, pionnière de la musique concrète et minimaliste convertie au bouddhisme (le 26 au Palais de Tokyo).

Une œuvre contemplative qui fait écho à celle de la compositrice Pauline Oliveiros, demain soir au centre Pompidou. L'improvisatrice américaine, à l'origine du concept d' «écoute profonde» , actionnera le soufflet de son accordéon numérique, couplé à un ordinateur. Dès 1960, elle élabora le premier Expanded Instrument System, qui permet de modifier en temps réel la musique jouée, embrassant très tôt les potentialités nouvelles offertes par l'électronique.

Face Visualizer, Instrument and Copy

À quelques décennies de là, Daito Manabe , 34 ans, explore lui aussi les interactions homme/machine. Mathématicien codeur, l'artiste multimédia aime faire des trucs étranges avec l'électricité et «utiliser le corps d'une manière anormale» . Après avoir collaboré avec des nageuses synchronisées et des danseurs (Dumtype), Daito Manabe finit par utiliser son propre corps comme cobaye qu'il soumet à un voltage modéré. Au centre Pompidou, il présente Face Visualizer, Instrument and Copy , fruit d'une expérimentation visant à copier l'expression faciale d'une personne sur le visage d'une autre. Le visage bardé d'électrodes se déforme en d'étranges rictus, animé de tics incontrôlables. La figure devenue illisible est pilotée par les sons de Manabe, convertis en impulsions électriques qui stimulent les muscles faciaux en chorégraphies grimaçantes. Sourires sans émotion déjà analysés par le fondateur français de la neurologie G. B. Duchenne au XIXe siècle. Face Visualizer s'inspire de ses recherches, ainsi que de la performance Ping Body , de Stelarc , star australienne du body art, dont les mouvements corporels étaient assujettis à l'activité du réseau internet.

Manabe sera aussi ce soir au Point éphémère, aux côtés du virtuose nippon des platines L?K?O et du DJ queer Terre Thaemlitz . Le gourou des interfaces alternatives exercera cette fois ses talents de DJ/VJ, avec une version hackée de Kinect , le nouveau joujou Microsoft où le corps tout entier remplace la manette de jeu. Il animera lundi prochain un atelier «Bodyhack» à l'école Estienne, pour apprendre à utiliser son organisme comme un instrument électronique, capable d'envoyer ou de recevoir des signaux. «Ces données corporelles seront bientôt connectées et partagées via Internet, ce qui soulève des tas de problèmes comme le copyright, la vie privée ou la sécurité» , estime le programmeur tokyoïte.

Dripping color et Evolution, de Lucy & Bart

Un corps-flux , malléable et remodelable à merci, c'est la vision fascinante et cauchemardesque que nous livre le duo Lucy&Bart; , avec leurs images de silhouettes mutantes déformées par de la mousse, des copeauxs, des ballons. Les artistes visuels proposent ce soir au public une «chirurgie plastique low-tech» , lifting à base d'agrafes et de fils. On retrouve le duo tout au long du festival, avec, le 25 au Palais de Tokyo, la première française de The Crystal Ark , projet solo du musicien Gavin Russom (LCD Soundsystem).

Paru dans Libération du 12 novembre 2010

In Famous Carousel

_ Ce soir au Point éphémère, 75010 Paris

_ Samedi au centre Pompidou, 75004 Paris

_ Les 25 et 26 au Palais de Tokyo, 75016 Paris

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