Menu
Libération

La riposte graduée britannique remise à flot

par Aziz Oguz
publié le 27 juin 2012 à 16h56
(mis à jour le 27 juin 2012 à 17h36)

Les Britanniques aussi auront finalement leur Hadopi, ou tout du moins un système équivalent. En projet depuis 2010, dans le cadre du Digital Economy Act , repoussée fin avril , une ébauche de projet de loi a finalement été rendue publique hier par l'Ofcom (Office of Communications, équivalent du CSA et de l'Arcep réunis). L'autorité de régulation espère que le projet sera adopté par le Parlement avant la fin de l'année pour une mise en œuvre prévue en 2014.

Contrairement à la France, le texte ne prévoit pas la création d'un organisme public comme l'Hadopi. Ce sont les ayants droit qui seraient directement chargés d'assurer la chasse aux adresses IP fautives sur les réseaux peer-to-peer et torrent, voire le direct download -- sans plus de précisions pour l'instant sur cette intrusion dans la vie privée des internautes. Puis les principaux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) du Royaume-Uni (BT, Everything Everywhere, O2, Sky, TalkTalk Group et Virgin Media) seraient tenus d'envoyer un courrier à leurs clients en cas de plainte des mêmes ayants droit. Cette lettre leur signalera que des contenus ont été téléchargés illégalement à partir de leur connexion... et leur donnera des informations pour accéder à des contenus légaux.

«Nous sommes en train de mettre en place un système pour éduquer les gens sur la question des droits d'auteur afin qu'ils sachent ce qu'est un contenu légal et où le trouver. Le Digital Economy Act [la loi sur l'économie numérique] est important dans la protection de nos industries culturelles contre l'activité illégale» , s'est félicité hier le ministre britannique de la Culture, Ed Vaizey.

Et si la pédagogie ne marche pas, l’État britannique saura punir. Lorsqu'un internaute récidivera trois fois (ou plus) sur une période de douze mois (un délai d'un mois est exigé entre chaque courrier envoyé), l'ayant droit pourra demander à la justice que le FAI révèle l'identité du contrevenant -- resté dans l'anonymat jusqu'ici. Il pourra dès lors appuyer ses poursuites judiciaires sur les téléchargements mentionnés dans les courriers.

Hier, l'autorité de régulation britannique, l'Ofcom, a rendu publique une ébauche de projet de loi contre le «piratage» sur Internet.

Des observateurs regrettent ce retour en arrière. «Les revenus du numérique augmentent. Ce lourd dispositif ne suit pas le bon mouvement impulsé par l'industrie musicale et cinématographique» , déplore ainsi Jim Killock , le président de l'organisation Open rights group, qui se bat pour les libertés individuelles sur Internet. D'autant que la lourdeur de la machinerie et la date lointaine de son entrée en fonction (2014) posent beaucoup de question sur son efficacité.

Pour en arriver au projet actuel, d'âpres négociations ont également opposé les ayants droit aux FAI, qui refusent de se transformer en gendarmes et notamment de prendre en charge l'expédition des courriers. Un procès a même opposé deux d'entre eux et le gouvernement britannique . Le tribunal a rendu son jugement en mars dernier, autorisant le procédé tout en limitant les frais supportés par les FAI à 25% du coût de l'opération.

C'est que, d'après des document annexes traitant uniquement du volet financier , le dispositif coûtera cher. Si 70000 violations de droits d'auteur sont signalées par les ayants droit aux fournisseurs d'accès, il en coûtera 14,4 millions de livres (environ 18 millions d'euros), soit 17 livres (21 euros) par courrier. Un coût qui diminuerait si davantage de courriers sont adressés, ce que personne ne souhaite. L'Ofcam indique que le coût global du projet -- entre l'élaboration de la loi, les négociations et la mise en place du dispositif -- s'élèvera à 10,5 millions de livres (13 millions d'euros), à la charge des ayants droit.

Cet enjeu financier est à l'origine d'une étonnante mesure prévue par le projet de loi: pour faire appel des accusations adressées par son FAI, l'usager devra payer 20 livres (25 euros)... Et cette somme ne sera remboursée qu'en cas de succès de sa démarche. «La violation du droit d'auteur n'est pas tolérable. Mais les personnes innocentes ne devraient pas avoir à payer des frais pour se défendre. Vingt livres, cela peut paraître dérisoire, mais cette somme peut dissuader certaines personnes avec un faible revenue de contester des accusations infondées» , s'inquiète, auprès de la BBC , Mike O'Connor, président de l'association de consommateur Consumer Focus. En face, l'Ofcam se défend de vouloir s'attaquer aux petits téléchargeurs: sa cible, ce sont les «les plus tenaces contrevenants» . Un flou entoure également l'organisme qui va prendre en charge les recours... L'Ofcam préconise la création d'un «organisme indépendant» , sans plus de précisions.

Enfin, l'autorité de régulation britannique ne s'interdit pas d'intensifier le volet répressif de son dispositif à l'avenir. Si, au bout d'un an, ces mesures ne donnent pas satisfaction, l'Ofcam réfléchit ainsi à la possibilité de réduire la vitesse de connexion de l'abonnement contrevenant, voire de suspendre provisoirement l'accès à Internet. Mais ces nouvelles options devront être soumises à nouveau au Parlement britannique en... 2015.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique