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Libération

Sarkozy et le retour de la vengeance de la «taxe Google»

par Erwan Cario
publié le 15 mars 2012 à 19h56

Où Nicolas Sarkozy ressort du chapeau la célèbre «taxe Google» pour les «géants de l'Internet». L'idée, qui avait germé en 2010 , était de taxer les revenus publicitaires à hauteur de 1%, et donc de récupérer un peu du chiffre d'affaires de Google en France, qui est pour l'instant imposé en Irlande. Cette nouvelle taxe devait entrer en application au 1er juillet 2011. Sauf qu'entre temps, Nicolas Sarkozy a voulu se rabibocher avec Internet en préparation de son e-G8 du 24 mai 2011 et créé, dès fin avril, le Conseil national du numérique . La mission du CNNum, très orienté business et patrons, expliquait alors le Président de la République était de «donner des avis et formuler des recommandations en faveur du développement de l'Internet en France» . Du coup, lorsque le 10 juin 2011, le conseil publie son troisième avis où il explique que «la taxe actuelle ne remplit pas son but, et viendrait frapper un secteur stratégique pour la France, où nous sommes en retard par rapport à nos voisins» , ça aurait sans doute fait mauvais genre de maintenir le projet. Hop, à la trappe.

Mais c'était l'année dernière. Une éternité. Dans une interview accordée au Point et publiée aujourd'hui , Nicolas Sarkozy remet donc le sujet sur la table, et explique que «les géants du Net devront, au-delà de leur contribution au financement de la création et des réseaux, acquitter un impôt représentatif de leurs activités dans notre pays» . Et il sait très bien comment : «Il y a au moins deux pistes sérieuses que je veux faire explorer concomitamment, au niveau français aussi bien qu'européen : une taxe sur la publicité en ligne et l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés» . Il y a quelques jours pourtant, dans une interview donnée à 01net , Benjamin Lancar, chargé de l'enonomie numérique à l'UMP, précisait la position de son parti (mais «pas du candidat» ) sur le sujet : «L'idée de cette taxe (sur la publicité, ndlr) n'est pas dans les propositions de l'UMP, car nous la trouvons extrêmement anxiogène pour l'ensemble du secteur de l'économie numérique.»

Pourtant, ce n'est pas comme si l'épineux sujet de la fiscalité des activités numériques sur le sol français des grands acteurs qui n'y sont pas domiciliés avait été oublié. C'est, depuis l'abandon de la «taxe Google», un sujet de réflexion récurrent. Dernier événement en date, un colloque au Sénat le 14 février dernier . À cette occasion, Philippe Marini, géniteur de la taxe Google, n'avait pas remis son idée première sur la table et préféré une prise en compte plus globale des revenus des grandes sociétés du numérique: «Je veux transposer pour les activités en ligne (achat de musique, de flux vidéos, de services dans le cloud…) ce qu'on a fait avec la Loi sur les paris et les jeux en ligne, c'est-à-dire obliger les acteurs de l'internet à faire enregistrer leurs sites ainsi que les transactions.»

Toujours le 14 février, le CNNum rendait son huitième avis , spécifiquement sur le sujet de la fiscalité numérique, qu'il vient de publier aujourd'hui. Quel timing parfait ! Le Conseil revient ainsi sur la problématique de la «taxe Google», mais en proposant non pas de taxer chaque transaction publicitaire mais l'ensemble des revenus générés par la publicité pour une société. L'avis détaille : «créer une "taxe sur les revenus publicitaires" dont seraient redevables tous les acteurs qui tirent des revenus de la publicité effectuée à destination du territoire français, et ayant comme assiette les revenus issus des prestations de publicité vues ou faisant l'objet d'un clic par des internautes ayant une adresse IP française» . Rien que l'énoncé laisse entrevoir la complexité du processus. D'autant que pour y arriver, il faudrait mettre en place «l'obligation pour les entreprises réalisant ce type de chiffre d'affaires en France de nommer un représentant fiscal responsable du paiement de la taxe» . Et le CNNum de conclure lui-même sur sa propre proposition : «La mesure demeure néanmoins imparfaite» , à cause, entre autres, de la limitation de la mesure à un seul modèle économique, celui de la publicité, et de la faiblesse du montant en jeu.

Dans son avis, le CNNum préfère donc se concentrer sur des mesures plus générales visant à «remettre sur un même pied d'égalité l'ensemble des acteurs générant des revenus à partir du territoire français» . Il préconise donc de travailler sur le long terme au niveau européen pour mettre en place la notion d'«établissement stable virtuel» applicable dès «qu'un acteur exerce des activités régulières sur Internet auprès des consommateurs en France» . A plus court terme, il propose de «taxer les bénéficies des acteurs étrangers du numérique sur la base du cycle commercial complet» . Il s'agit d'une notion déjà présente dans la fiscalité française qui permet de «considérer comme localisées en France, les opérations effectuées quand elles ont un caractère habituel, qu'elles forment un cycle commercial complet et qu'elles se détachent des autres activités de l'entreprise» . En gros, c'est applicable quand une entreprise étrangère achète et revend les même produits sur le territoire français. Merci à toi, cher lecteur ou chère lectrice, qui est arrivé(e) à ce stade de l'article sans décrocher.

Dans sa nouvelle proposition, Nicolas Sarkozy s'oppose donc en une seule phrase à la position de son propre parti et aux propositions du Conseil qu'il a lui-même mis en place. C'est que le fait de vouloir taxer des géants américains, ça ne mange pas de pain, même si c'est irréalisable ou périlleux en l'état. Et puis il faut bien avouer que cette histoire de «cycle commercial complet» , en période électorale, c'est sans doute un poil trop complexe pour en faire un thème de campagne.

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