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Libération

A la recherche du milliard de fichiers piratés

par Astrid GIRARDEAU
publié le 10 novembre 2008 à 13h33
(mis à jour le 10 novembre 2008 à 13h49)

« Nous devons pour cela lever le principal obstacle : le piratage des œuvres sur internet, commis sur une très grande échelle dans notre pays, qui détient une sorte de record mondial puisqu'un milliard de fichiers ont en effet été piratés en France en 2006. Ce véritable désastre économique et industriel auquel nous assistons se traduit également sur le terrain du renouvellement et de la diversité de la création.» Ce cri d'alerte était lancé au Sénat , le 29 octobre dernier, par Christine Albanel, le ministre de la Culture, dans le cadre des débats autour de la loi Création et Internet. Et cet impressionnant, voire obscène, «1 milliard de fichiers» d'être rapidement repris par de nombreux médias, et comme l'un des slogans du site lancé la semaine dernière par le gouvernement, j'aimelesartistes .

Mais au fait, il sort d'où ce milliard ? Le Monde nous apprend qu'il vient d'une étude réalisée par le cabinet GfK auprès de 2000 internautes pour le compte de ses clients (maisons de disques, d'édition de vidéos, etc.). Selon ce sondage, en 2007, les internautes français auraient ainsi téléchargé 833280000 fichiers de musique, et 235200000 fichiers vidéo protégés par le droit d'auteur. Si ces chiffres sont énormes, le commentaire de Laurent Donzel, responsable de GfK, l'est au moins tout autant. Il explique ainsi à nos confrères que leur processus de calcul comporte «des failles» car, dit-il, «on fait appel à la mémoire de l'intéressé, et les interviewés minimisent souvent le poids réel du téléchargement. Ils ne veulent pas l'avouer» . Et donc ? Et bien «pour compenser, on extrapole et on multiplie les résultats par douze [pour obtenir un chiffre sur l'année ndlr]» ....

Difficile de croire que c'est sur de tels arguments, et de telles données, que se basent aujourd'hui le Sénat , et demain le Parlement français, pour décider d'une loi qui va permettre à une autorité administrative de couper l'accès à Internet à des centaines de milliers de foyers. Tout ça dans l'espoir de faire remonter le chiffre d'affaires de l'industrie du disque et du cinéma. Ce n'est pas autre chose que soulignait, dès avril dernier, la Cnil dans son avis , révélé la semaine dernière, sur le projet de loi Création et Internet.

Ce chiffre n'est pas sans rappeler les 450000 films récents téléchargés chaque jour illégalement en France annoncés à grand tambour en août dernier par l' ALPA , par l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle. Une étude bâclée, un powerpoint de 11 pages commandé aux sociétés Thomson et Advestigo. L'association avait voulu faire croire (jusque que sur Variety ) qu'il ne s'agissait que du premier jet d'une version plus détaillée à paraître en septembre.

Depuis on attend toujours d'en savoir plus sur cette saturation des serveurs (qui empêcherait 60% des pirates français à télécharger . Mais aussi pourquoi malgré «ce phénomène majeur qui peut mettre en péril l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel» (Frédéric Delacroix, directeur général de l'ALPA), le nombre d'entrées en salles en France à augmenté de 2,5 % en un an et que la vente des DVD de films a augmenté de 2,1% entre les premiers semestres 2007 et 2008 (selon le CNC).

La France n'est bien sûr pas la seule à s'adonner au jeu des chiffres. Toujours dans le domaine du piratage, début octobre, Wired s'interrogeait sur le chiffre cité, dit, redit à toute occasion (et finalement assimilé) selon lequel le piratage de la propriété intellectuelle aurait fait perdre l'emploi de 750000 citoyens américains (soit 8% du nombre de chômeurs aux Etats-Unis). Quelques jours plus tard, Ars Technica se penchait à son tour sur ce chiffre et sur celui des 200 à 250 milliards de dollars de perte répétés lui aussi à l'envi. Et après avoir tenté de remonter à leurs sources, Julian Sanchez de conclure : « vue la provenance douteuse des données, la seule chose dont nous pouvons être certains c'est que nous ne sommes certains de rien. Et nous construisons une politique sur la base de cette ignorance.»

Sur le même sujet :

_ - Le téléchargement illégal de films se porte bien en France

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_ - Hadopi : Les critiques très dures de la Cnil

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