Menu
Libération

Avec le nouveau Mega, Kim Dotcom promet le partage crypté

par Sophian Fanen
publié le 19 octobre 2012 à 11h34
(mis à jour le 19 octobre 2012 à 15h08)

Au-delà des questions légales et/ou de respect des ayants droit, MegaUpload était une plateforme d'échanges en ligne redoutablement efficace jusqu'à ce que le service -- et ses sites frères comme MegaVideo -- soient débranchés par une action intentée par la justice américaine fin janvier. Depuis, Kim «Dotcom» Schmitz et sept autres personnes sont accusées aux Etats-Unis de « blanchiment d'argent », « crime organisé » et multiples « infractions au copyright », tandis que leur extradition depuis la Nouvelle-Zélande a été renvoyée au plus tôt au mois de mars 2013 .

Mais Kim Dotcom, grande gueule de Twitter et roi du story telling, n'a jamais renoncé à revenir aux affaires. Dans le long et passionnant reportage que lui consacre ce mois-ci Wired , il précise encore ce que pourrait être le successeur de MegaUpload, qu'il annonce pour «la fin de l'année» . Un service de direct download désormais crypté et décentralisé.

La couverture du magazine Wired, qui consacre ce mois-ci un long reportage à Kim Dotcom. Photo Kim Dotcom via Instagram .

Selon Kim Dotcom, le Mega nouveau proposera donc -- comme Megaupload -- aux internautes de stocker

gratuitement

des fichiers de taille importante. Le tout à un tarif qui n'a pas été communiqué. On ne sait pas, par contre, si Mega reprendra les caractéristiques déjà présentées pour

, notamment le principe d'une régie publicitaire maison qui viendrait se superposer aux publicités diffusées par les sites Internet visités par ses abonnés.

Tout ça avec une rupture majeure: chaque fichier uploadé chez Mega générerait désormais, en plus de l'habituel lien permettant de le retrouver, une clé cryptée. Celle-ci serait générée grâce au très solide algorithme Advanced Encryption Standard ( PDF ), qui n'est autre que le standard de chiffrement utilisé par les organisations du gouvernement des États-Unis et notamment par l'Agence de sécurité nationale (NSA) -- pour les documents non-classifiés. Cela ressemble furieusement à un gros pied de nez de la part de Kim Dotcom envers les États-Unis, qui ont mobilisé beaucoup de moyens techniques, judiciaires et policiers pour débrancher les sites du groupe Mega et apprécieront sûrement de les voir renaître abriter derrière leur algorithme de cryptage préféré.

Selon Kim Dotcom, Mega ne conservera pas la trace de cette clé cryptée unique sur ses serveurs: «Tout ce qui est uploadé sur le site restera inviolable et privé sans la clé.» Ce dont Mega devra toutefois apporter la preuve, puisque l'entreprise s'appuierait sur ce double lien accroché à chaque fichier pour se protéger dans l'avenir d'éventuelles attaques judiciaires. Il s'agit toujours ici de revendiquer le principe du safe harbour défini par le Digital millenium copyright act , un texte qui concède aux plateformes de stockage -- comme YouTube par exemple -- le statut d'hébergeur. Dès lors, elles ne peuvent être tenues responsables de la nature illégale de certains fichiers que leurs serveurs hébergeraient. Pour Kim Dotcom, le nouveau Mega serait encore plus safe grâce à ce double lien nécessaire au téléchargement d'un fichier posté sur ses serveurs: seul l'internaute qui l'a uploadé en serait responsable. Sauf qu'un ayant droit pourrait toujours prouver, en constatant la présence d'un fichier protégé sur Mega, que le service tomberait par exemple en France sous le coup du Code de la propriété intellectuelle pour «mise à disposition du public d'un logiciel conduisant à l'écoute et au partage non autorisé» d'œuvres protégées.

Mega compte donc mettre en place une deuxième barrière contre les ennuis juridiques éventuels: les fichiers en doublon ne seront plus supprimés. Sur l'ancien MegaUpload, des robots pouvaient en effet déterminer si un film, un jeu ou un disque était déjà présent sur les serveurs de la plateforme et décider d'effacer la copie redondante afin d'économiser de l'espace de stockage -- et donc des sous. Mega revient sur ce principe et laissera circuler autant de copies du nouveau Rihanna que les internautes en uploaderont. Ceci pour des raisons qui tiennent là encore davantage du juridique que du choix technique.

_ C'est Mathias Ortmann, partenaire de Kim Dotcom dans cette affaire, qui s'explique sur ce point dans Wired . «Même si un pays devient complètement fou furieux d'un point de vue juridique et gèle tous les serveurs, par exemple -- ce que nous ne prévoyons pas, puisque nous avons respecté toutes les lois des pays où nous installons nos serveurs -- ou si une catastrophe naturelle se produit, il y aura encore un autre endroit où tous les fichiers seront disponibles. De cette façon, il est impossible d'être soumis aux attaques que nous avons subies aux États-Unis.»

L'une des images de MegaBox, l'ancêtre de Mega?

L'architecture technique choisie par l'équipe Mega pour son retour semble également bien différente du système de MegaUpload, qui s'appuyait sur un faible nombre de fermes de serveurs situées dans des grands centres urbains capables d'arroser Internet en pétaoctets de données. «Nous allons créer un système dans lequel n'importe lequel des serveurs dans le monde -- celui opéré depuis un garage ou le plus grand des fournisseurs d'espace en ligne -- peut se connecter au réseau» , annonce aujourd'hui Kim Dotcom.

Comme le dit bien Wired , ce nouveau Mega risque avant tout «d'atomiser» les questions (juridiques, économiques, sociales...) liées au statut des échanges hors marché entre internautes, à défaut de les régler. Noyées derrière un brouillard de données décentralisées et doublonnées, les œuvres protégées seront difficilement traçables et les demandes de suppression à peu près inutiles. À moins d'une surenchère technologique à coup de robots sniffeurs et tueurs de contenu copyrighté, qui se précise de semaine en semaine -- avec ou sans cadre judiciaire.

À court terme, et si ce Mega nouvelle version existe bien tel qu'il a été présenté dans Wired , il montrera avant tout que les attaques conjuguées de la justice américaine et de la police néo-zélandaise (dont la solidité juridique est actuellement éprouvée) ont créé un énième monstre du partage, désormais solidement codé. Une nébuleuse qui promet d'être encore plus insaisissable que son prédécesseur.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique